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et qui sont tout simplement une sorte de mémorial de ce qui se passait chaque jour à ces terribles assises criminelles, et de ce qui se disait chaque soir dans les ruelles des belles conseillères venues de Paris. Pourquoi le spirituel précepteur laissa-t-il échapper de sa main désœuvrée ces pages faciles et d’un coloris si frais ? Évidemment ce fut pur jeu de lettré, distraction des matinées longues et difficiles, et, comme dit Mme de Sévigné, le plaisir de laisser trotter son esprit sur le champ vierge du papier. Dans notre langage d’aujourd’hui, nous appellerions cela du dilettantisme de plume. Aussi, écrivant surtout pour son amusement propre, ne songeant guère aux applaudissemens, Fléchier rencontra-t-il l’exquis du naturel, je ne sais quel air de jeunesse, je ne sais quel mélange délicat de rêverie et de badinage, qui font de son livre d’insouciant une sorte de petit chef-d’œuvre. Les Mémoires sur les Grands-Jours sont le vrai pendant littéraire des Mémoires de Gramont, avec cette différence que là où Hamilton n’a que de l’esprit, Fléchier a encore de la sensibilité. On se demande sans doute à qui, dans la pensée secrète du rédacteur, étaient destinés les Grands-Jours. Certes, il ne s’est jamais rencontré d’auteur qui n’ait écrit que pour lui seul : dans la littérature comme au théâtre, le monologue est de pure convention ; en réalité, on parle au public sans en avoir l’air. J’admettrai volontiers qu’en jetant ainsi sur des feuilles ses souvenirs de chaque journée, Fléchier n’avait pas le projet arrêté et immédiat d’une publication ; autrement il n’eût pas osé se permettre ce déshabillé piquant de style, cet abandon et cette aisance de coin du feu. Mais pour mon compte, j’ai assez de propension à supposer qu’il destinait ce récit frivole à quelque cercle favori. Évidemment ce n’est pas le suffrage des dames de Clermont qu’il briguait, puisqu’on lit expressément dans son livre que « les femmes y sont laides. » On imaginerait plutôt que certaines après-midi en furent secrètement égayées chez Mme de La Fayette, qu’on le lut mystérieusement