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ans ; il était sans fortune. En attendant qu’il pût s’insinuer et parvenir, il accepta le modeste office de professer le catéchisme aux enfans dans une paroisse.

Son talent pour les vers latins le fit vite distinguer. J’ai dit que Conrart l’avait produit à l’hôtel Rambouillet, et que Fléchier y avait fait la connaissance d’Huet. Huet était naturellement le patron des beaux esprits qui se piquaient de latinité ; dès 1661, le jeune abbé lui écrivait en lui envoyant des vers : « J’ai toujours vécu sans ambition, et je n’ai été jusqu’ici homme de lettres que pour moi. Je suis dans le dessein de persévérer dans cette vie cachée et de ne rendre jamais mes défauts publics. En me réduisant à cette juste retenue, je me réserve quelques confidences particulières[1]. » Serment de vestale qui sera dès demain infidèle. Il est quelqu’un à qui un auteur n’a presque jamais la force de cacher ses secrets, et ce quelqu’un, c’est le public. Fléchier, qui cherchait à se produire, à se faire des protecteurs, ne manqua pas une occasion de mettre publiquement en relief l’art qu’il avait acquis d’aligner de jolis hexamètres ; il en adressait au Mazarin sur la paix avec l’Espagne, au comte de Brienne sur ses voyages, au dauphin sur son avenir ; mais ce fut surtout à propos du brillant carrousel donné par le jeune Louis XIV que la muse érudite de Fléchier triompha. Son poème latin sur ce sujet charma tous les beaux esprits ; on fut surpris galamment de l’art merveilleux avec lequel étaient choisies et enchâssées les épithètes descriptives ; on admira avec quel bonheur étaient rendus les plus difficiles détails de ces courses brillantes, où tant d’exercices et de jeux divers, où tant de quadriges chamarrés se mêlaient aux bannières de toutes couleurs.

Sie gerere imperium discant, sic ludere reges ;


le jeune roi fut enchanté de voir ainsi louer ses fêtes, et l’imprimerie royale reproduisit avec magnificence les vers de Fléchier. Les affaires, du jeune abbé étaient en bonne voie. Chapelain, l’arbitre des graces d’alors, arbiter elegantiarum, déclara qu’il reconnaissait en lui « un très bon poète latin[2]. » Dans ce temps-là, c’était la fortune.

Il y a une piquante anecdote de la vie de Fléchier, que je place à peu près à la date où nous sommes et que j’emprunte à l’abbé d’Artigny[3], chez lequel les biographes se sont d’autant plus gardés de l’aller

  1. Œuvres de Fléchier édit. De Nîmes, t. X, p. 20.
  2. Liste de quelques gens de lettres vivans (dans Desmolets, suite des Mém. de Littérature de Sallengre, t. II, p. 32).
  3. Nouveaux Mémoires de Littérature, t. V, p. 253 et suiv.