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Ces regrets amènent naturellement l’aimable abbé à se plaindre des coquettes, car il n’aime pas qu’on l’éconduise :

Au seul nom de l’amour elles sont alarmées,
Feignant de n’aimer plus dès qu’elles sont aimées,
Persécutent un cœur qu’elles ont attristé,
Et font une vertu de cette cruauté.
Je sais bien qu’au moment qu’elles font les cruelles,
Elles souffrent souvent ce qu’on souffre pour elles,
Et qu’alors que leur sort nous paraît le plus doux,
Elles sont quelquefois plus à plaindre que nous…


Certes voilà d’assez jolies rimes, et qui le paraissent surtout quand on se rappelle les lourds, les plats Dialogues sur le Quiétisme versifiés par l’évêque de Nîmes : son héroïne ici l’inspirait. Tous ces vers en somme sentent assez leur Guirlande de Julie, quelque chose de ces charmantes langueurs, de ces molles aspirations que Racine plus tard reprit en les épurant, et qu’il rendit divines dans Bérénice.

Fléchier, d’ailleurs, ne s’en tenait pas à ces généralités banales, et ses phrases à madrigal avaient le plus souvent une adresse. Quelquefois même ce n’était plus un simple compliment sur des yeux malades :

Quoiqu’ils souffrent beaucoup de mal,
Ils en font encor davantage ;


il arrivait à la galanterie déclarée. Un jour, Mlle de Lavigne voulant s’amuser à jouer un personnage tendre de quelque pièce de théâtre, Fléchier se chargea de lui choisir un rôle, curieux de savoir si une si cruelle personne pourrait s’acquitter d’une tâche à ce point contraire à sa nature :

Est-ce à la beauté trop sévère
Que vous voulez vous en tenir ?
Et pourquoi faut-il contrefaire
Ce que vous pouvez devenir ?

Parlez d’amour en vers, en prose,
Faites-en toute la façon ;
Croyez-moi, c’est tout autre chose
Quand on en parle tout de bon.


Mais peut-être ici Fléchier jouait-il à son tour l’expérience. La belle accepta le rôle de Judith[1] : ce fut pour son correspondant un nouveau

  1. La Judith de Boyer étant de 1695, c’était peut-être celle d’un poète de Langres, Gérard Bouvot, 1649.