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Fléchier a droit, dans l’histoire de la prose française, à une place honorable : un rôle distinct, une part d’originalité lui reviennent. Il ne fait pas comme Boileau, il ne rompt pas en visière avec la tradition immédiate, avec l’école de Louis XIII ; c’est cette école, au contraire, qu’il continue, mais en polissant son langage, en évitant l’enflure, en faisant un art du choix des termes et des constructions, en recherchant le nombre, la correction, la scrupuleuse justesse des termes, en un mot les secrets du style et les manèges de l’écrivain. Sorti de l’hôtel Rambouillet, il en a gardé les délicatesses en les épurant ; successeur direct des Balzac et des Godeau, il a suivi leurs exemples d’éloquence, mais en dégageant ce genre de l’emphase. C’est pour cela que d’Olivet disait : « Il nous a appris les graces de la diction. » Qui nierait d’ailleurs que, malgré les antithèses du bel esprit et les tours communs de l’arrangeur de syllabes, Fléchier, dans ses oraisons funèbres de Turenne et de Montausier, n’ait attrapé certaines teintes d’éloquence sombre et de douceur pathétique ? On comprend que, quand l’orateur, avec son action triste et sa voix traînante, récitait ces pages du haut de la chaire, la lenteur même du style devait avoir quelque chose d’imposant et qui répondait à merveille à la solennité du sujet. Et puis il y avait l’illusion des contemporains : à chaque opuscule de Fléchier, Mme de Sévigné séduite se récrie que c’est une pièce achevée, et ne tarit pas sur ce style parfait et également beau partout. L’aimable écrivain ne se doutait guère, d’Alembert le remarque en termes excellens, qu’en parlant de Turenne dans une simple lettre, elle avait rencontré des traits d’un sublime bien autrement touchant que celui du prédicateur.

Encore une fois, je ne voudrais pas déprécier la gloire du panégyriste de Turenne ; mais comment accorder à Voltaire que, même dans cette oraison célèbre, Fléchier ait égalé Bossuet ? Comment accorder à La Harpe que ce soit là un grand coup de l’art ? A quoi bon méconnaître les rangs ? La place est encore belle au-dessous de l’historien des Variations. D’Alembert, en parlant d'alignement et de compas, Thomas (le reproche lui allait bien !), en parlant de mécanisme, ont tous deux marqué d’un mot l’immense espace qui sépare Fléchier de Bossuet. Cependant la réputation de Fléchier a quelque chose de légitime ; s’il n’a pas été l’un des prosateurs vraiment souverains de sa grande époque, une gloire honorable lui revient du moins, celle d’avoir épuré la diction et comme clarifié le style. Ç’a été, qu’on me passe le mot, un précepteur excellent de la langue. Balzac n’avait fait qu’ébaucher le genre que Fléchies a rendu parfait : or, la perfection dans un genre,