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J’ai grands ennuis entremeslés de joye,

Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoye.

Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis quand je crois ma joye estre certaine,
Et estre au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise était évidemment nourrie des anciens : on pourrait indiquer et suivre à la trace un assez grand nombre de ses imitations ; mais elle les fait avec art toujours et en les appropriant à sa situation particulière[1]. Son précédent sonnet et sa manière en général de concevoir la Vénus éternelle, m’ont rappelé un très beau fragment de Sophocle, assez peu connu, que nous a conservé Stobée[2]. Je ne crois pas m’éloigner beaucoup de Louise en le traduisant ; il remplacera le morceau de Sapho, trop répandu pour être cité.

« Ô jeunes gens ! la Cypris n’est pas seulement Cypris, mais elle est surnommée de tous les noms ; c’est l’Enfer, c’est la violence irrésistible, c’est la rage furieuse, c’est le désir sans mélange, c’est le cri aigu de la douleur ! Avec elle toute chose sérieuse, paisible, tourne à la violence. Car, dans toute poitrine où elle se loge, aussitôt l’ame se fond. Et qui donc n’est point la pâture de cette Déesse ? Elle s’introduit

  1. Ainsi, à la fin de son élégie première, elle se souvient de Tibulle qui dit (liv. I, élég. v) contre le médisant et le jaloux :

    Vidi ego, quod juvenum miseros risisset amores,
     Post Veneris vinclis subdere colla senem…

    Louise Labé applique cela, non plus à un homme, mais à une femme, à quelqu’une de celles qui la blâmaient :

    Telle j’ai vu qui avoit en jeunesse
    Blâmé Amour, après en sa vieillesse
    Brûler d’ardeur et plaindre tendrement
    L’âpre rigueur de son tardif tourment.
    Alors de fard et eau continuelle
    Elle essayoit se faire venir belle… etc.

  2. Anthologie de Stobée, titre lxiii.