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et gracieuses sentent l’école de Marot ; elle y raconte comment Amour l’assaillit en son âge le plus verd et la dégoûta aussitôt des œuvres ingénieuses où elle se plaisait ; elle s’adresse à l’ami absent qu’elle craint de savoir oublieux ou infidèle, et lui dit avec une tendresse naïve :

Goûte le bien que tant d’hommes désirent,
Demeure au but où tant d’autres aspirent,
Et crois qu’ailleurs n’en auras une telle.
Je ne dis pas qu’elle ne soit plus belle,
Mais que jamais femme ne t’aimera
Ne plus que moi d’honneur te portera.
Maints grands Seigneurs à mon amour prétendent,
Et à me plaire et servir prêts se rendent ;
Joûtes et jeux, maintes belles devises,
En ma faveur sont par eux entreprises ;
Et néanmoins tant peu je m’en soucie,
Que seulement ne les en remercie.
Tu es tout seul tout mon mal et mon bien ;
Avec toi tout, et sans toi je n’ai rien.

La situation de Louise, ainsi absente loin de son ami qui porte les armes en Italie, a dû servir à imaginer celle de Clotilde de Surville, qui, par ce coin, semble modelée sur elle. Clotilde bien souvent n’est qu’une Louise aussi vive amante, mais de plus épouse légitime et mère. C’est dans ses sonnets surtout que la passion de Louise éclate et se couronne par instans d’une flamme qui rappelle Sapho et l’amant de Lesbie. Plusieurs des sonnets pourtant sont pénibles, obscurs ; on s’y heurte à des duretés étranges. Ainsi, pour parler du tour du soleil, elle écrira :

Quand Phébus a son cerne fait en terre.

C’est là du Maurice Sève, pour le contourné et le rocailleux ; ce Sève, je l’ai dit, tenait lieu à Louise de Ronsard. Elle n’observe pas toujours l’entrelacement des rimes masculines et féminines, ce qui la rattache encore à l’école antérieure à Du Bellay. Mais toutes ces critiques incontestables se taisent devant de petits tableaux achevés comme celui-ci, où se résument au naturel les mille gracieuses versatilités et contradictions d’amour :

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure ;