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appellent folles celles qui aiment, maudissent le jour que premièrement elles aimèrent, protestent de jamais n’aimer ; mais cela ne leur dure guère. Elles remettent incontinent devant les yeux ce qu’elles ont tant aimé. Si elles ont quelque enseigne de lui, elles la baisent, rebaisent, sèment de larmes, s’en font un chevet et oreiller, et s’escoutent elles-mêmes plaignantes leurs misérables détresses. Combien en vois-je qui se retirent jusques aux Enfers pour essayer si elles pourront, comme jadis Orphée, révoquer leurs amours perdues ? Et en tous ces actes, quels traits trouvez-vous que de Folie ? avoir le cœur séparé de soi-mesme, estre maintenant en paix, ores en guerre, ores en trêve ; couvrir et cacher sa douleur ; changer visage mille fois le jour ; sentir le sang qui lui rougit la face, y montant, puis soudain s’enfuit, la laissant pâle, ainsi que honte, espérance ou peur, nous gouvernent ; chercher ce qui nous tourmente, feignant le fuir, et néanmoins avoir crainte de le trouver ; n’avoir qu’un petit ris entre mille soupirs ; se tromper soi-mesme ; bruler de loin, geler de près ; un parler interrompu, un silence venant tout à coup, ne sont-ce tous signes d’un homme aliéné de son bon entendement ?… Reconnais donc, ingrat Amour, quel tu es, et de combien de biens je te suis cause !… »

Il règne dans tout ce passage une éloquence vive et comme une expression d’après nature ; le mouvement de comparaison soudaine avec Orphée : « Combien en vois-je…, » est d’une véritable beauté. — Mercure a donc mis dans tout son jour la vieille ligue qui existe entre Folie et Amour, bien que celui-ci n’en ait rien su jusqu’ici. Il conclut d’un ton d’aisance légère en faveur de sa cliente : « Ne laissez perdre cette belle Dame, qui vous a donné tant de contentement avec Génie, Jeunesse, Bacchus, Silène, et ce gentil Gardien des jardins. Ne permettez fâcher celle que vous avez conservée jusques ici sans rides, et sans pas un poil blanc ; et n’ôtez, à l’appétit de quelque colère, le plaisir d’entre les hommes. »

L’arrêt de Jupiter qui remet l’affaire à huitaine, c’est-à-dire à trois fois sept fois neuf siècles, et qui provisoirement commande à Folie de guider Amour, clôt à l’amiable le débat : « Et sur la restitution des yeux, après en avoir parlé aux Parques, en sera ordonné. » Cet excellent dialogue, élégant, spirituel et facile, mis en regard des vers de Louise Labé, est un exemple de plus (cela nous coûte un peu à dire) qu’en français la prose a eu de tout temps une avance marquée sur la poésie.

Les vers de Louise sont en petit nombre. Ses trois élégies coulantes