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n’y a peut-être pas lieu de se mettre tant en frais pour sauver le décorum. Les mœurs de chaque siècle sont si à part et si sujettes à des mesures différentes, qu’il serait, après tout, très possible que Louise, en sa qualité de bel-esprit, se fût permis, jusque dans le sein du mariage, ces chants d’ardeur et de regret, comme une licence poétique qui n’aurait pas trop tiré à conséquence dans la pratique. Nous-même, en notre temps, nous avons eu des exemples assez singuliers de ces aveux poétiques dans la bouche des femmes. J’ai sous les yeux de très agréables poésies publiées avant juillet 1830, et qui n’ont pas fait un pli, je vous assure, de touchantes élégies dans lesquelles une jolie femme du monde écrivait :

...... J’étais sans nulle défiance ;
J’avançais en cueillant un gros bouquet de fleurs,
En chantant à mi-voix un air de mon enfance,
Avec lequel toujours on m’endormait sans pleurs.
Tout à coup je le vis au détour d’une allée,
Je le vis, et n’osai m’approcher d’un seul pas ;
Je m’arrêtai confuse, interdite, troublée,
Le regardant sans cesse et ne respirant pas.
Il était jeune et beau ; sa prunelle azurée
Se voilait fréquemment par ses cils abaissés…
Ah ! comme son regard pourtant m’eût rassurée !
En le voyant ainsi, de mes rêves passés
Je croyais ressaisir la fugitive image,
Et retrouver un être aimé depuis long-temps ;
Mon écharpe effleura le mobile feuillage,
Et l’inconnu put voir le trouble de mes sens !…


Et quant à ce qui est des jeunes filles poètes qui parlent aussi tout haut de la beauté des jeunes inconnus, nous aurions à invoquer plus d’un brillant et harmonieux témoignage, que personne n’a oublié, et