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du souvenir de cette aventure pour supposer qu’elle s’habillait continuellement en homme, et qu’elle était reçue dans ce costume chez Saconay, l’un des dignitaires de l’église de Lyon. C’est dans un pamphlet latin contre Saconay qu’il articule ce grief avec force injures. D’autre part, les admirateurs de Louise la comparaient pour ce fait de jeunesse à Sémiramis ; elle-même a dit moins pompeusement et en rendant au vrai la couleur romanesque :

Qui m’eut vu lors en armes fière aller,
Porter la lance et bois faire voler,
Le devoir faire en l’estour furieux,
Piquer, volter le cheval glorieux,
Pour Bradamante, ou la haute Marphise,
Sœur de Roger, il m’eut, possible, prise.

D’autres périls plus naturels l’attendaient, auxquels n’échappent guère ces fières héroïnes, et qu’elles recherchent peut-être en secret sous tout ce bruit. Ce fut à ce siège, selon la vraisemblance, ou dans les rencontres qui suivirent, qu’elle s’éprit d’une passion vive pour l’homme de guerre à qui s’adressent évidemment ses poésies et dont elle regrette plus d’une fois l’absence ou l’infidélité par-delà les monts. La première des pièces consacrées à la louange de Louise, dans l’édition de 1555, est une petite épigramme grecque qui peut jeter quelque jour sur cette situation ; à la faveur et un peu à l’abri du grec, les termes qui expriment son infortune particulière de cœur y sont formels. Voici la traduction :

« Les odes de l’harmonieuse Sapho s’étaient perdues par la violence du temps qui dévore tout : les ayant retrouvées et nourries dans son sein tout plein du miel de Vénus et des Amours, Louise maintenant nous les a rendues. Et si quelqu’un s’étonne comme d’une merveille, et demande d’où vient cette poétesse nouvelle, il saura qu’elle a aussi rencontré, pour son malheur, un Phaon aimé, terrible et inflexible ! Frappée par lui d’abandon, elle s’est mise, la malheureuse, à moduler sur les cordes de sa lyre un chant pénétrant ; et voilà que, par ses poésies mêmes, elle enfonce vivement aux jeunes cœurs les plus rebelles l’aiguillon qui fait aimer. »

Cette passion qui s’empara de Louise, d’après son propre aveu (Élégie III), avant qu’elle eût vu seize hivers, et qui l’embrasait encore durant le treizième été (treize ans après !), fut-elle antérieure à son mariage avec l’honnête et riche cordier Ennemond Perrin, ou se continua-t-elle jusqu’à travers les lois conjugales ? C’est une ques-