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ses vers mêmes, on n’atteint pas à la certitude (où est la certitude en un sujet si délicat ?), on arrive toutefois à la mieux voir, à la voir tout autre qu’à travers les badineries des commentateurs érudits, lesquels ont fait ici, en sens inverse, ce que tant de bons légendaires ont fait pour leurs saints et saintes ; je veux dire qu’ils n’ont apporté aucune critique en leur récit, et qu’ils se sont tout simplement délectés à médire, comme les autres à glorifier. Ce qui d’ailleurs a le plus nui à Louise Labé, je m’empresse de le reconnaître, et ce qui a pu induire en erreur, ce sont les pièces mêmes de vers à sa louange attachées à ses œuvres. Chaque siècle a son ton de galanterie et d’enjouement. Au XVIe siècle, les honnêtes femmes écrivaient et lisaient l’Heptameron, et le grave parlement, dans les Grands-Jours de Poitiers, célébrait sur tous les tons la Puce de Mlle Des Roches. Les sonnets amoureux de Louise Labé mirent en veine bien des beaux-esprits du temps, et ils commencèrent à lui parler en français, en latin, en grec, en toutes langues, de ses gracieusetés et de ses baisers (de Aloysiœ Labœœ osculis), comme des gens qui avaient le droit d’exprimer un avis là-dessus. Les malins ou les indifférens ont pu prendre ensuite ces jeux d’imagination au pied de la lettre. Je ne prétendrai jamais faire de Louise Labé une Julie d’Angennes, mais en bonne critique il faut grandement rabattre de tous ces madrigaux. De ce qu’une foule de poètes se déclarèrent bien haut ses amoureux, doit-on en conclure qu’ils furent ses amans, et faut-il prendre au positif les vivacités lyriques d’Olivier de Magny plus qu’on ne ferait les familiarités galantes de Benserade ? Je dis cela sans dissimuler qu’il y a, dans les témoignages cités, deux ou trois endroits embarrassans, incommodes ; on aimerait autant qu’ils fussent restés inconnus[1]. Et puis elle ne recevait pas seulement dans sa maison des poètes, mais aussi de braves capitaines, gens qui se repaissent moins de fumée. On est donc fort entrepris, selon l’expression prudente de Dugas-Montbel, pour rien asseoir de certain ; il y a du pour, il y a du contre. Je ferai valoir le pour de mon mieux.

Louise Charlin, Charly ou Charlieu (on trouve toutes ces variantes de noms dans des actes authentiques), dite communément Louise Labé, était fille d’un cordier de Lyon ; elle dut naître vers 1525 ou

  1. Ce regret doit s’entendre surtout d’une certaine ode d’Olivier de Magny (1559) adressée à sire Aymon (ou Ennemond), le mari de la belle Cordière ; elle a été réimprimée par M. Breghot du Lut, à Lyon, en 1830, dans une Note pour servir de supplément à l’édition de 1824 : ce post-scriptum dérange un peu les conclusions mêmes de l’excellente édition.