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de saint Jérôme, a fait preuve de patriotisme et de bon esprit ; il n’a pas eu plus de faux scrupule que n’en eurent en de telles matières ces érudits du bon temps, l’abbé Goujet, Niceron et autres ; les vrais catholiques, à bien des égards, sont les plus tolérans. Pour nous, cette publication nouvelle nous est une occasion heureuse, que nous ne laisserons pas échapper, de réparer, envers Louise Labé, un oubli, une légèreté involontaire qu’un critique ami, M. Patin, nous reprochait dernièrement avec grace[1]. Il est toujours très doux de pouvoir réparer envers un poète, surtout quand ce poète est une femme.

Nous avions beaucoup trop négligé Louise Labé, parce qu’en étudiant au XVIe siècle le mouvement et la succession des écoles, on la rencontre très peu. C’est une gloire, un charme de plus pour une muse de femme de ne pas avoir rang dans la mêlée et de ne pas intervenir dans ces luttes raisonneuses. Louise Labé fut un peu en son temps comme Mme Tastu, comme Mme Valmore du nôtre : sont-elles classiques, sont-elles romantiques ? elles ne le savent pas bien ; elles ont senti, elles ont chanté, elles ont fleuri à leur jour ; on ne les trouve que dans leur sentier et sur leur tige. À d’autres la discussion et les théories ! à d’autres l’arène !

Les œuvres de Louise Labé parurent pour la première fois en l’année 1555, c’est-à-dire au moment où toute la génération éveillée par Du Bellay et Ronsard prenait son essor, où la jeune école de droit de Poitiers, Vauquelin et ses amis, se produisaient dans leur ferveur de prosélytes, et où, sur toutes les rives du Clain et de la Loire, retentissaient, comme des chants d’oiseaux, des milliers de sonnets, quelques-uns charmans déjà, quelques autres un peu rauques encore ; mais Louise Labé, précédemment louée par Marot, n’eut pas besoin, elle, pour s’élancer à son tour, de rompre avec le passé et de s’éprendre de cette ardeur rivale. Si elle dut en partie ce rôle d’exception au caractère tout intime et passionné de ses vers, elle ne le dut pas moins à la position littéraire qu’occupait alors en France la cité lyonnaise. Lyon, en effet, était un centre plus à portée de l’Italie et qui gagnait à ce voisinage quelques rayons plus hâtifs de cette docte et bénigne influence ; Lyon avançait, on peut le dire, sur le reste de nos provinces, et peut-être, à certains égards, sur la capitale. Des Florentins en grand nombre, à chaque trouble survenu dans la république des Médicis, avaient émigré sur ce point et y avaient fondé une espèce de colonie qui continuait d’associer, comme dans la patrie première,

  1. Journal des Savans, no de décembre 1844.