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cisme et non le christianisme qui a reconnu pour la première fois que les hommes sont frères, et frères en Dieu. Le germe de cette conception admirable est dans Socrate : « Je ne suis, disait ce grand homme, ni Athénien, ni Grec, mais citoyen du monde[1]. » Noble parole, digne d’un chrétien, et qui n’empêchait pas Socrate de combattre bravement à Délium, et d’emporter à Potidée sur ses robustes épaules Alcibiade blessé. Le stoïcisme a répandu dans le monde grec et romain pendant quatre siècles cette généreuse doctrine qui fut saluée par le peuple romain au théâtre dans un vers bien connu de Térence, et que Lucain n’exprimait pas avec moins de force dans ce beau vers :


Nec tibi, sed toti genitum se credere mundo.


Ainsi, c’est la philosophie grecque qui a mis au monde toutes les grandes vérités morales et religieuses. L’unité de Dieu, sa spiritualité, sa providence, fondement de ces lois non écrites que Socrate prêchait sur l’agora au peuple d’Athènes, la liberté, la responsabilité, l’immortalité de l’ame humaine, l’idée de la justice universelle et de la fraternité du genre humain, nous venons de voir tout sortir par degrés du développement progressif de la pensée humaine et du sein fécond de cette philosophie grecque dont on accuse la stérilité.

M. l’archevêque de Paris soutient que tous les systèmes de la philosophie ancienne aboutissent au panthéisme ou au dualisme, et dans l’un et l’autre cas portent atteinte à quelqu’une des vérités de la religion naturelle. J’en tombe d’accord ; mais il faut bien remarquer que les philosophes ne se proposent pas seulement de recueillir les vérités essentielles de l’ordre moral et religieux : ils veulent aussi les expliquer, et trop souvent, pour les expliquer, ils les compromettent. C’est la loi de l’esprit humain, toujours exclusif quand il aspire à embrasser toutes choses. Les théologiens n’ont pas le privilége d’échapper à cette commune loi, et je défie qu’on en cite un seul, saint Augustin ou saint Thomas lui-même, qui, une fois sorti de la stricte littéralité du dogme, ait essayé de résoudre une de ces éternelles antinomies qui pèsent sur la pensée humaine, sans tomber dans quelque périlleuse extrémité. Que cela s’appelle quiétisme ou mysticisme, jansénisme ou fatalisme, réalisme ou panthéisme, peu importe. Pour empêcher l’esprit humain de jamais faire un faux pas dans sa course immortelle

  1. Plutarque, De Exil, 7.