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fections de l’homme. L’amour de soi-même, à titre d’image de Dieu, l’amour de nos semblables à titre de membres du Christ, toutes ces affections, dirigées vers l’amour général de Dieu, voilà le code éternel de la morale fondé sur le code éternel de la religion.

Nous n’ignorons pas les mille objections qu’on peut élever ici, et nous ne pouvons les discuter en ce moment. Qu’il nous suffise de dire que nous n’avons pas prononcé une parole qui ne soit conforme au texte le plus exact de la plus sévère orthodoxie, et tout ensemble à la raison la plus éclairée et la plus libre.

Voilà cette religion naturelle que Rousseau développe si éloquemment dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, dont Kant enchaîne les principes avec une vigueur supérieure dans sa Critique de la Raison pratique, que l’école écossaise, sous une forme moins sévère et moins éloquente, mais avec une force de bon sens et une droiture de conviction admirables a promulguée à son tour au xviiie siècle. On a cru qu’en écrivant l’évangile de la religion naturelle, Rousseau avait détruit le christianisme. Non, il en était un interprète, il le transformait en philosophie.


III.


Nous espérons avoir fait clairement comprendre comment il se rencontre que, tout en ayant d’autres vues que M. l’archevêque de Paris sur la religion naturelle et sur le christianisme, nous tombions cependant pleinement d’accord avec lui sur deux conclusions essentielles de son livre : la première, que la religion naturelle est absolument insuffisante pour le genre humain ; la seconde, que le christianisme a été, depuis dix-huit siècles, et est encore nécessaire pour maintenir et pour répandre parmi les hommes les vérités morales et religieuses. Peut-être entrevoit-on déjà que les mêmes raisons qui nous font donner les mains à ces deux thèses de M. l’archevêque nous interdisent de lui accorder la troisième, qui est pourtant celle à laquelle il tient le plus, savoir, que la philosophie est de sa nature impuissante en matière de morale et de religion.

M. l’archevêque de Paris s’efforce d’abord d’établir que la philosophie n’a pu sauver les dogmes de la religion naturelle au sein des nations païennes. Allons droit à l’erreur capitale sur laquelle est assise toute cette prétendue démonstration. M. l’archevêque de Paris se forme une sorte d’idéal de religion naturelle, et le confrontant tour à tour avec les divers systèmes de philosophie de l’anti-