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recueilli cette haute notion au sein d’un peuple qui lui fit boire la ciguë, pour crime d’impiété envers les dieux ; que Platon ait écrit la République et le Banquet, sous la dictée des traditions populaires ? M. l’archevêque de Paris a une autre théorie toute prête ; il nous assure que ces grandes découvertes de la philosophie ancienne sont tout simplement un emprunt fait aux saintes Écritures. Faut-il mettre Socrate en communication avec les Juifs ? faut-il faire lire la Genèse à Pythagore ? M. de Maistre n’hésitait pas, M. l’archevêque de Paris n’a guère moins de courage. Il irait jusqu’à mettre en relation Platon et le prophète Daniel, plutôt que d’accorder à la raison humaine le droit de s’élever à Dieu par la force naturelle qui est en elle. Voilà donc deux doctrines bien distinctes ; or, il faut choisir entre M. de Bonald et Bossuet, entre saint Thomas et M. l’abbé Bautain. Il faut que M. l’archevêque de Paris, qui enseigne alternativement les deux théories contraires, nous dise quelle est celle des deux à laquelle il faut se fier : est-ce à l’instruction pastorale de 1844 qu’il faut donner la préférence, ou à l’introduction philosophique de 1845 ? et dans cette introduction elle-même, est-ce au corps de l’ouvrage ou aux notes explicatives ?

Pour nous, nous croyons que M. l’archevêque de Paris est au fond un bon gallican que les circonstances extérieures ont de temps en temps un peu dévoyé. Au fond, cet esprit éclairé et plein de mesure est disposé à reconnaître dans certaines limites l’autorité morale et religieuse de la raison. Tel est du moins l’esprit dominant de son dernier livre ; c’est même au point qu’en certains endroits, M. l’archevêque, chose merveilleuse, pourra paraître à plusieurs exagérer la puissance de la raison.

« Nous soutenons, dit-il, tout à la fois que la raison peut connaître la religion naturelle, et que cependant la révélation a été nécessaire, sinon à chaque homme en particulier, du moins aux hommes en général, et surtout aux sociétés païennes pour conserver les dogmes et la morale de cette religion primitive[1]. » Ce passage semble de nature à effaroucher les oreilles pieuses, et nous voilà, nous, philosophes, presque tentés de nous plaindre qu’on nous accorde trop ; car enfin la révélation chrétienne est présentée ici comme ayant le caractère d’une nécessité plutôt relative qu’absolue. À quoi sert-elle en effet ? À conserver, à maintenir dans sa pureté et son intégrité la religion naturelle, rien de plus. Est-elle même absolument nécessaire dans cet

  1. Introduction philosophique, p. 22.