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de notre mère Ève et du perfide serpent avait son analogue parmi eux. Fait plus surprenant encore, plusieurs de leurs pratiques et de leurs dogmes se rapprochaient du christianisme même ; ils avaient le dogme d’un péché originel, et ils s’en lavaient par le baptême. Ils considéraient l’espèce humaine comme jetée sur la terre par punition, et imploraient sans cesse dans leurs prières la miséricorde divine. « Quand un enfant vient au monde, dit Zurita[1], ses parens le saluent en lui disant : Tu es venu pour souffrir, souffre et prends patience. » Parmi les objets de leur culte figurait la croix ; le fait est constaté par vingt témoignages pour le Yucatan, qui touchait au Mexique ancien et fait partie du Mexique moderne, et il est difficile d’en douter pour le Mexique proprement dit, car on lit dans le récit du voyage de Grijalva, prédécesseur de Cortez en ces parages : « A l’île nommée Uloa (aujourd’hui Saint-Jean-d’Ulloa, citadelle de Vera-Cruz), ils adorent une croix de marbre blanc sur le haut de laquelle est une couronne d’or. Ils disent que sur cette croix il est mort quelqu’un qui est plus beau et plus resplendissant que le soleil[2]. » Ils avaient la confession et l’absolution. Les secrets du tribunal de la pénitence, car le mot s’applique très bien ici, étaient inviolables ; mais l’on ne se confessait qu’une fois en sa vie, et par conséquent aussi tard que possible. Probablement parce que, à l’époque où les Espagnols arrivèrent, il y avait une sorte de confusion entre l’autorité politique et l’autorité religieuse, par l’ascendant que le clergé avait pris dans l’état et sur l’esprit du prince, l’absolution religieuse purifiait des crimes, même par devant le bras séculier, et long-temps après la conquête on voyait encore les Indiens poursuivis par la justice demander à être relâchés en présentant un billet de confession de leur curé. Enfin, ils avaient une cérémonie pareille au sacrement de l’eucharistie, où les prêtres distribuaient aux fidèles les fragmens d’une image du dieu qu’on avalait en se prosternant, disant que c’était la chair même de la divinité.

Leurs prières attestaient des sentimens d’une charité touchante, le pardon et l’oubli des injures. « Vis en paix avec tout le monde, disait l’une des oraisons ; supporte les injures avec humilité ; laisse à Dieu qui voit tout le soin de te venger. »

Les règles de la morale privée tendaient à inspirer les meilleurs

  1. Alonzo de Zurita est un homme de loi qui écrivit après dix-neuf ans de séjour au Mexique. Il avait été chargé, comme oïdor de l’audience de Mexico, de faire un rapport sur les différentes classes de chefs des indigènes. M. Ternaux lui a consacré un volume.
  2. Voyage de Grijalva raconté par le chapelain. (Collection Ternaux.)