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Maragnon, et j’ajoutai qu’en même temps je m’engagerais à revenir au printemps recommencer ces promenades qu’il regrettait autant que moi ; mais il secoua la tête, et me répondit en soupirant : — Nous ne reviendrons pas cette année à Belveser ; mon père a décidé qu’après notre mariage nous ferions un long voyage en pays étranger…

La jeune fille s’interrompit à ces mots, et demeura un moment plongée dans d’amères réflexions.

— Cette idée de départ vous a affligée ? dit Anastasie ; vous vous êtes intérieurement révoltée contre la volonté de votre oncle ?

— Non, ce n’était pas là ce qui m’avait fait une si pénible impression, répondit Éléonore ; c’était le mot qu’avait prononcé Dominique… Elle hésita un moment avant d’achever, puis elle dit d’un ton concentré : — C’était la première fois que mon cousin me parlait directement de notre prochain mariage… Je ne sais ce qui se passa alors en moi… ce fut une impression étrange de crainte, de chagrin, presque de colère. Je retirai brusquement ma main, que Dominique tenait encore dans la sienne, et je détournai la vue en frissonnant. Sans doute, il s’aperçut de ce mouvement, et il en fut frappé ; car, bien que j’eusse les yeux baissés, je compris qu’il me regardait fixement, et je l’entendis murmurer : — Pauvre enfant, hélas ! Un instant après, il monta en voiture avec son père. Je craignais de l’avoir affligé, j’en avais comme un remords, et je m’approchai pour lui dire adieu encore une fois à travers la portière ; mais il ne me regardait pas : il avait les yeux tournés du côté de Colobrières, et sans doute, en son ame, il vous faisait ses adieux.

— Certainement il n’était pas fâché contre vous, dit Anastasie en soupirant, et le souvenir du léger tort que vous avez eu envers lui ne doit pas vous affliger. Reprenez donc courage, ma chère Éléonore, le courage d’être la plus heureuse des femmes.

Pendant cet entretien, le cadet de Colobrières avait jeté son fusil sur l’herbe, et s’était assis un peu en arrière d’Éléonore, le coude appuyé sur son genou et le front dans sa main. Plusieurs fois la jeune fille s’était retournée à demi vers lui, comme attendant une parole, un regard ; mais l’on eût dit qu’au lieu de prendre garde jà elle, il s’occupait à compter les clous du collier de son chien Lambin, accroupi à ses pieds. Éléonore se tourna enfin tout-à-fait, et lui dit d’un air de douceur plaintive : — Mon cousin, nous n’avons plus que quelques momens à passer ensemble… venez donc près de nous.

Il se leva silencieusement, et vint s’asseoir à côté d’elle. Les deux