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— Sainte Vierge ! disait la baronne à sa fille, je n’ose plus jeter les yeux du côté de la cour d’honneur ; qui sait si les toitures n’ont pas achevé de s’écrouler ?

— Patience, ma mère, répondait la jeune fille avec résignation, nous sommes encore à l’abri ici ; avant que la pluie puisse pénétrer ces voûtes. Dieu fera finir le mauvais temps.

— Il faut l’espérer, ma fille ; mais nous nous en ressentirons toute l’année, murmurait la baronne en soupirant ; votre père est soucieux, et ce n’est pas sans raison ; nos meilleures terres ont été ensemencées, et peut-être à cette heure les eaux ont tout emporté, la récolte et le terrain.

— Le ciel ne permettra pas qu’un si grand malheur nous arrive ! dit Anastasie avec un pieux sentiment de confiance et d’espoir.

Pourtant en ce moment même les formidables voix de l’orage s’élevaient de toutes parts ; des torrens de pluie battaient contre la fenêtre et enfonçaient les morceaux de parchemin qui çà et là remplaçaient les carreaux de verre ; une froide ondée pénétra tout à coup à travers la vitrière et ruissela sur la tête inclinée d’Anastasie.

— Jésus ! l’orage redouble ! s’écria la baronne ; ma fille, venez près de moi….

Mlle de Colobrières vint s’asseoir aux pieds de sa mère, et murmura en lissant avec la main sa chevelure humide : — Qui sait si ma chère Éléonore pense à nous en ce moment ?

La baronne ne s’était pas trompée dans ses prévisions : vers le soir, l’orage s’étant calmé un moment, le baron sortit pour constater les dégâts que la pluie avait faits dans son domaine. Le désastre était complet. Sur les pentes où il y avait naguère un peu de terre végétale, il ne restait que le roc nu. L’endroit même qu’on appelait le verger, et où croissaient quelques ceps de vigne, quelques chétifs amandiers, avait été dévasté par les eaux. Après un tel événement, il semblait naturel que le baron fût soucieux et sombre. Ses enfans n’essayèrent point de le tirer de sa préoccupation ; ils se bornèrent à témoigner la part qu’ils prenaient au malheur commun en redoublant de déférence et de respect à l’égard de leur père. La baronne elle-même ne chercha pas à pénétrer ce qui se passait dans l’esprit de son mari, et, comme toujours, attentive, douce et soumise, elle pensa à le consoler moins par ses paroles que par des marques silencieuses d’attachement.

Un soir enfin, les nuages amoncelés au couchant se déchirèrent ; l’horizon se teignit d’un pourpre ardent, et l’azur du ciel parut