Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand Lucile part de Rome, un méchant cheval porte sa valise : suivant sans doute la voie Appienne, qu’Horace déclarait être « moins rude pour les piétons paresseux, » le poète longe la mer, traverse les marais Pontins, franchit des montagnes (peut-être aussi les rochers blancs d’Anxur[1], passe à Formies, et s’arrête à Capoue pour voir un combat de gladiateurs qui paraît avoir été sanglant, car rien n’y manqua, ni le râle du vaincu, ni les airs féroces du vainqueur, « qui allongeait son museau comme un rhinocéros d’Éthiopie, » ni les aigrettes de plumes de paon que portaient les lutteurs, toujours prêts à recommencer la tuerie. C’eût été une page curieuse pour l’histoire des mœurs provinciales de la vieille Italie que ce spectacle campanien décrit par la plume pittoresque de Lucile. De Capoue le poète se rend à Pouzzol, et, s’y embarquant, il double le promontoire de Minerve, mouille à Salerne, et repart à force de rames pour débarquer enfin au cap Palinure, vers le milieu de la nuit. Je crois probable qu’il ne dépassa point le promontoire de Scylla, d’où il put découvrir le détroit de Messine, les remparts de Reggio, puis Lipari et le temple de Diane Facelina, dont il est question dans ses vers.

Voilà pour la géographie. Mais, au sens de certains fragmens, il est facile de deviner que les mésaventures de route et les anecdotes d’auberge tenaient bonne place dans cette espèce d’épître familière. Rien n’y manquait, pas même, je crois, la tempête obligée, ni les esclaves endormis que le maître dut éveiller en personne, ni la conversation avec le guide qu’on avait pris en route. La vieille cuisine de Bénévent, où Horace ne trouva qu’un dîner de grives étiques, rappelle tout-à-fait ce méchant gîte ou Lucile ne trouva même pas de feu, et où l’on ne sut lui servir ni huîtres, ni falourdes, ni asperges, rien de ce qu’il aimait. C’est là sans doute qu’il vit cette cabaretière syrienne, caupona syra, que Virgile à son tour contemplait assis sous un berceau d’oseraie[2], et qu’il nous a si délicieusement peinte, dans une taverne fumeuse, la tête ornée d’une petite mitre grecque, et se battant les coudes avec des baguettes claquantes, tandis qu’au son du crotale elle dansait ses pas lascifs. On se souvient qu’en allant à Brindes, l’ami de Virgile avait fait bonne chère dans la riche villa de Cocceius ; il me paraît vraisemblable que quelque hôte généreux reçut également Lucile, et c’est ici que je place cette exclamation d’affamé : « Nous

  1. I mpositum saxis late candentibus Anxur. (Horat., Sat., I, v, 26.)
  2. Voir sa Copa.