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planton vint se mettre à notre disposition, et, au grand étonnement des matelots qui transportaient nos bagages, nous allâmes, sans subir la moindre visite, nous installer à l’hôtel de France.

Sans perdre de temps, nous commençâmes nos courses. Encore incertains sur la direction future de notre voyage, nous ne voulions pas quitter Palerme sans avoir fait connaissance avec tout ce qu’elle renferme de merveilles trop peu connues. Conduits par des ciceroni d’élite dont l’empressement hospitalier ne se démentit pas un instant, nous visitâmes ces anciennes mosquées, où des versets du Coran se lisent encore sur des piliers et des murs depuis tant d’années consacrés au culte du Christ ; nous parcourûmes avec étonnement ces palais, ces églises, ces cloîtres, travaillés, fouillés, incrustés comme des meubles de Boule, où les marbres les plus précieux, les émaux, la malachite, le lapis-lazuli, se mêlent, se groupent de mille manières, se dressent en colonnes taillées par les enfans de la Grèce ou de l’Arabie, tapissent les murailles et les voûtes, ressortent en sculptures délicates, retombent en draperies qu’on dirait nuancées par la navette d’un habile tisseur, s’entrelacent en lignes capricieuses, en brillantes arabesques, et, formant un ensemble d’une incroyable richesse, n’en méritent pas moins quelquefois les reproches que leur adressait le goût classique et sévère de nos guides. « C’est le délire de l’art, » s’écriait don Antonio Gallo, archéologue distingué qu’applaudissait d’un fin et dédaigneux sourire le chanoine Piccolo. Peut-être avaient-ils raison ; cependant nous protestâmes contre la rigueur de l’arrêt. Après avoir senti tout ce qu’ont d’imposant dans leur nudité les hautes et sombres voûtes de nos cathédrales du nord, on peut encore conserver de l’admiration pour ces chiese, où la splendide lumière d’un soleil méridional fait ressortir la profusion magnifique des ornemens, et semble venir en aide à la pensée de l’artiste en revêtant les dehors de l’édifice d’inimitables teintes d’un fauve rougeâtre et doré.

Tout, autour de Palerme, répondait pleinement à ce que l’aspect de ses monumens avait pour nous de nouveau et d’inattendu. Dans la Conca d’Oro, la végétation franchement méridionale, presque africaine, déploie une merveilleuse activité. Fécondée par la chaleur du climat et par l’eau de sources intarissables que la main de l’homme a distribuées dans mille aqueducs, la terre se repose à peine pendant un mois de l’année ; aussi ceux de nos arbres qui, dans les jardins de l’Olivezza ou de la Flora, mêlaient leur feuillage à ceux du dattier et du caroubier, acquièrent-ils ici des dimensions gigantesques. Sur ce sol privilégié, l’olivier est un arbre de haute futaie ; le cyprès y devient