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voyions la baie s’enfoncer dans les terres, s’incliner un peu vers l’orient, et présenter aux fraîches brises du nord-est ses rives abritées contre les tempêtes soulevées au large par les vents de l’ouest et du nord-ouest. Dans le fond de ce golfe, placée entre les hauts ombrages de l’Olivezza et ceux de la Flora, Palerme nous montrait ses navires pavoisés et ses coupoles arrondies, ses flèches élancées, qui lui donnaient quelque chose d’oriental. Au-delà, nous devinions, à sa verdure sombre, la forêt d’orangers, de citronniers et de caroubiers qui occupe le fond de la Conca d’Oro. Nos regards, glissant sur les premières pentes des montagnes que commençait à teinter une végétation printanière, montaient en s’éloignant toujours jusqu’à Monreale, s’arrêtaient sur la vieille cathédrale des rois normands, et, s’élevant plus haut encore, rencontraient la magnifique enceinte de montagnes qui encadre ce riche tableau et se prolonge à plusieurs lieues dans l’intérieur. Échelonnées sur six rangs distincts, ces chaînes portaient à quatre mille pieds dans les airs leurs flancs découpés, leurs cimes aux lignes hardies, aux pics fièrement accusés, que blanchissaient encore les neiges de l’hiver. Recourbées en demi-cercle comme pour embrasser et défendre la vallée ouverte à leurs pieds, elles jetaient au loin dans la mer, à plus de trois lieues l’un de l’autre, à gauche le cap Zafarano, protégeant de ses masses compactes les palais de la Bagaria, à droite le Capo di Gallo, qui élevait à dix-huit cents pieds au-dessus de nos têtes ses falaises à pic d’un calcaire doré, et se rattachait au mont Pellegrino, où serpentait parmi les précipices la route de Sainte-Rosalie. Abritée par ces gigantesques brise-lames, la baie nous présentait sa surface à peine ondulée, réfléchissait ce tableau magique, et nous renvoyait l’image de Palerme l’heureuse, Palermo la Felice, qui semblait dormir dans une atmosphère embaumée au murmure affaibli des flots expirans sur sa grève.

Qu’il est pénible, lorsque notre ame s’élève sous l’impression d’un site à la fois grandiose et gracieux, d’être brusquement ramené du ciel à la terre par quelque nécessité importune ! A peine notre bâtiment eut-il atteint le port, qu’il fut littéralement pris d’assaut par un millier de marins, cousins-germains des lazaroni, et les ennuis du débarquement commencèrent ; ennuis plus sérieux pour nous que pour le commun des voyageurs, car nos malles et nos caisses remplies d’instrumens, de vases et de bocaux, nous faisaient vivement redouter les longueurs et les tracasseries de la douane. Heureusement nous en fûmes quittes pour la peur. Prévenu de notre arrivée, le duc de Serra di Falco, directeur-général de ce service, avait donné des ordres. Un