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chicane, on brûla son domaine, on outragea ses filles, on le battit de verges. Il se réfugia dans les steppes, arma des paysans, joua le Spartacus, pendant quinze années brûla les châteaux des seigneurs, vécut de pillage, et mourut en les maudissant.

À cette passion moscovite de M. Cameron, l’on peut opposer l’enthousiasme que M. Urquhart, écrivain très remarquable, a conçu pour la Turquie, et la persuasion où il est resté que l’Europe a beaucoup à apprendre de ce côté. L’étude passionnée et circonstanciée à laquelle M. White a soumis la métropole de l’islamisme n’est pas moins bizarre dans sa consciencieuse rigueur. Nos voisins appellent d’un mot singulier cette sorte de plaisanterie, qui n’en est pas une, et qui réussit surtout en Angleterre ; ils disent que c’est de la plaisanterie sèche, dry humour. M. White, l’auteur des Mœurs domestiques de Constantinople, ne se doute guère de l’attrait comique attaché à ses chapitres de « la pipe, » de « la bougie, » des « épiciers de Stamboul, » des « vendeurs de lait, » des « balais et des balayeurs, » des « lanternes » et des « sorbets. » Il n’y a pas d’algébriste, pas de statisticien, pas de monographe qui le vaillent pour la description des plus menus détails. Il a compté les allées de Stamboul, il a mesuré les murailles du harem, il sait combien de tombeaux élèvent à Scutari leurs têtes blanches, il sait la police de la ville mieux que l’effendi qui en est chargé.

Pour nous autres voyageurs casaniers, gens du coin du feu, modestement assis près de nos pénates, ces récits, qui font vagabonder l’esprit et l’emportent aux rives lointaines, sont choses tout-à-fait charmantes. Dans le nombre de ces livres, ceux que nous préférons sont les plus simples comme E’othen. ; nous sommes las de choses et d’hommes sublimes. « J’ai du regret, dit quelque part l’auteur d'Eothen de n’être pas plus sublime, plus enthousiaste, plus vertueux et plus lyrique. Je ne peux atteindre ces hautes régions, et c’est un chagrin pour moi. » Nous l’aimons tel qu’il est : la vertu éclora sans doute en lui quelque jour ; l’enthousiasme viendra quand il pourra. Puisse son exemple nous délivrer enfin des faux enthousiasmes et des faux sublimes, qui sont aux enthousiasmes réels ce que la galanterie est à l’amour !

La mode vient de le couronner à Londres de cinq éditions successives. Nous serions assez de l’avis de la mode, tant la vérité nous plaît, tant nous préférons aux solennelles draperies dont la gravité enveloppe souvent la sottise un peu de naïveté familière, d’agréable humeur et de simplicité moqueuse. Ces gens de bon caractère, dont le sourire console, dont la présence égaie, qui ne songent ni à nous endoctriner