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à l’exception de Démétri ; « tous sont morts de peur, » dit-il. Les pyramides sont « d’énormes triangles de pierre, » que personne ne regarderait s’ils n’étaient « si gros et si vieux. » Après avoir ainsi diminué des trois quarts les admirations convenues, Eothen remonte sur son dromadaire, se dirige vers Suez, juge que Démétri marche trop lentement, le quitte, s’égare et se trouve seul au milieu des sables, sans eau, sans pain, sans provisions et sans guide. La situation est romanesque assurément ; Eothen la trouve assez agréable. Il aperçoit deux Bédouins sur des chameaux, va droit à eux, descend, saisit une gourde gigantesque pendue au cou de l’un des animaux, la porte à ses lèvres, se désaltère sans mot dire, remonte sur sa bête et laisse les Bédouins stupéfaits ; c’est un des exploits qu’il raconte avec la plus vive satisfaction.

Le soleil contre lequel il a tant crié lui sert de guide, et après avoir sauté, malgré lui, par-dessus la tête de sa monture mécontente et harassée, il arrive épuisé de fatigue à Suez, où il se refait un peu, et où il retrouve son monde ; puis il se dirige vers Gaza et Naplouze, sans que son amour du désert se soit amorti. A Naplouze, grand foyer de l’orthodoxie musulmane, il espère se reposer quelque temps : espérance vaine ; bientôt une députation solennelle des chrétiens de la ville vient déranger sa quiétude, et le force de prendre part aux agitations et aux intrigues dont elle est le théâtre, et qui eut pour centre et pour objet une belle personne, Mariam, veuve et fiancée, chrétienne et musulmane, dont l’histoire ne manque pas d’intérêt, et caractérise assez bien les mœurs de ces pays peu connus et de ces populations mêlées.

Elle avait quinze ans et demi, la beauté la plus délicate et la plus parfaite, et pour mari un chrétien de la ville, qui la traitait bien. Pendant les fêtes du mariage, qui réunissent et confondent les populations de croyances diverses, un cheikh arabe, fort riche et considéré dans le pays, vit la fiancée, et s’éprit d’une passion tellement vive, qu’il résolut de tout hasarder pour devenir maître de la proie qu’il convoitait. Sa moralité mahométane ne lui permettait pas d’espérer l’accommodement adultère dont les habitudes européennes se font un jeu ; en Orient, on ne se résigne pas au partage des voluptés. Notre cheikh était d’ailleurs un homme pratique. Il reconnut qu’une seule voie de succès lui était ouverte, que, s’il faisait de la chrétienne une mahométane, le mariage chrétien serait nul, et qu’il fallait attaquer ce cœur du côté de la théologie. Il ouvrit donc ses batteries résolument, et se servit pour cela de l’intermédiaire accoutumé que l’auteur espagnol de la Célestine a minutieusement décrit, et qui, dans tous