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— Les Bethléémites mahométans avaient provoqué la colère d’Ibrahim-Pacha ; son sabre vengeur massacra la population musulmane de la ville. Aussitôt disparurent la sombre décence et la moralité sévère que les mahométans imposent à leurs femmes ; ce fut une révolution. Après des années de silence, les filles chrétiennes de Bethléem eurent enfin le droit d’être gaies. Elles en profitèrent à merveille, et le premier éclat de cette émancipation féminine accueillit notre voyageur. Pour lui, qui venait de parcourir ces villes sans femmes, dont un décorum rigoureux fait autant de déserts et de prisons, mille petites voix gazouillantes venant chatouiller son oreille furent un miracle. D’abord un bruit confus les annonce à distance, puis se rapproche, grandit, s’élève, grossit, et, en deux minutes, la troupe rieuse et timide l’environne ; vingt de ces petites Bethléémites, brunes, vives et sveltes, fixent sur lui de grands yeux noirs, si graves et si brûlans, qu’ils pénétraient, dit-il, « au fond de son cerveau. »

Au premier geste, au premier mouvement de l’étranger, avant même qu’il eût pensé à mal, l’essaim tout entier s’était enfui. Comme cependant il savait se donner un air assez raisonnable pour n’effrayer personne, et qu’il était « assez vicieux, dit-il, pour ne pas paraître trop innocent, » cet heureux mélange rassura les curieuses, qui, revenant à petits pas et par degrés, se groupèrent autour de lui, et finirent par se trouver tout près, mais tout près de cet animal nouveau, venu des régions lointaines. Alors la plus brave, riant du danger et assez hardie pour l’affronter, s’empare de la basque de l’habit qu’elle considère avec attention, et, rassurées par une témérité si décisive, les autres resserrent leur cercle, enlèvent à l’Anglais tout moyen de s’échapper, et entament une controverse aussi aiguë que brillante sur la conformation merveilleuse de ce que nous appelons « chapeau, » et sur le tissu extraordinaire de cette triste enveloppe que nous appelons « habit. » Bientôt de ces matières elles passent à de plus profondes et non moins philosophiques ; comment un homme peut-il avoir cinq pieds six pouces, des cheveux châtains, bouclés, soyeux comme ceux d’une femme, et des joues roses sous lesquelles circule l’ardente fraîcheur du sang saxon ? Puis, apercevant des mains non gantées, un nouveau miracle ! des mains si blanches, si européennes, aux ongles roses, qui, comparées aux mains des Syriennes et même à leur visage brûlés du soleil, paraissent inexplicables, elles se perdent en cris d’admiration ; la pensée d’un nouveau crime s’éveille chez la plus hardie, qui, tremblante et étonnée, s’empare de la main anglaise, la place entre ses deux mains, la palpe et la retourne comme nous faisons de la