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placé ici-bas, fera de moi ce qu’il voudra après ma mort ; il sait mieux que moi ce qu’il doit faire. Puisse-t-il vous bénir ! »

De ce personnage extraordinaire, chez lequel le bien et le mal se sont heurtés continuellement, tout ce que nous pouvons dire, c’est : « Pauvre nature humaine ! »


Le portrait de Pope est bien moins remarquable. Citons celui de Robert Walpole, du vieil ennemi :


« Dans la vie privée, il était bienveillant, gai et sociable ; ses manières étaient communes, sa morale relâchée. Son esprit était bas et grossier, et il lui donnait trop de liberté pour un homme de son rang, ce qui est toujours incompatible avec la dignité. Comme ministre, il était capable, mais il manquait d’une certaine élévation d’esprit sans laquelle on ne peut faire de grandes actions ni en bien ni en mal. Prodigue et intéressé, il soumettait son ambition à sa convoitise et à son désir d’acquérir une grande fortune. Il tenait plus du Mazarin que du Richelieu. Il faisait des actions basses, des choses petites, indignes, par amour de l’argent, et n’aurait jamais rien fait de grand par amour de la gloire.

« Une grosse franchise, qui avait l’air de partir du cœur et ressemblait souvent à la rudesse, faisait croire aux gens qu’il les initiait à ses secrets ; on prenait l’impolitesse de ses manières pour de la sincérité. Quand il rencontrait, ce qui était, hélas ! bien rare, des personnes insensibles aux tentations de l’argent, il avait recours à un artifice encore pire : il riait de toute idée de vertus publiques et d’amour de la patrie, il les tournait en ridicule et les appelait « élans chimériques et pédantesques ; » en même temps il déclarait qu’il n’était pas un « saint, ni un Spartiate, ni un réformateur. » Souvent il demandait à des jeunes gens à leur entrée dans le monde, lorsque leur cœur honnête était encore pur : « Eh bien ! allez-vous « être un antique Romain ? un patriote ? Vous vous déferez bientôt de « ces idées-là, et vous deviendrez plus sage. » Par ces propos, il faisait plus de tort à la morale publique qu’aux libertés de son pays, auxquelles je suis persuadé que dans son cœur il n’avait pas envie de porter atteinte.

« Il était facilement la dupe des femmes ; il répandait sur elles ses profusions, et quelquefois d’une manière indécente. Extrêmement sensible à la flatterie, même à la plus grossière et la plus sotte que lui adressaient parfois les plus grossiers adeptes de cette vile profession, il passait la plupart de ses heures de loisir ou de relâchement dans la compagnie d’hommes tarés dont la mauvaise réputation déteignait sur la sienne. Beaucoup de gens l’aimaient, mais personne ne l’estimait ; sa gaieté familière et sa raillerie peu ménagée lui ôtaient toute dignité. Il n’était pas vindicatif et pardonnait facilement à ceux qui l’avaient le plus grièvement offensé. Son humeur enjouée, son bon cœur et sa bienfaisance, comme père, comme époux, comme maître