suivre les galans préceptes de son père, Philippe s’était marié tout bonnement à une Eugénie qui lui avait donné deux enfans ; le père ne se doutait pas de cette alliance plébéienne. Le patriarche de la dissimulation fut frappé au cœur par celle de son fils ; il reçut le coup avec grace, se chargea d’Eugénie et des deux enfans de Philippe, et ne fit plus que végéter.
C’est alors qu’apparaît la profonde stérilité de cette vie, toute de vanité et d’égoïsme. A soixante-trois ans, il écrivait : « Je souffre d’être ; je suis, dans tous les sens, isolé, et j’ai vidé toutes mes cruches. Je puis quitter ce théâtre sans regretter personne et sans être regretté. » Il écrivait cela à son meilleur ami, à Dayrolles, tant les idées sérieuses, les buts graves et les passions vraies sont nécessaires à la vie. Le jeu lui était resté comme agitation dernière ; mais il devint sourd, et ne put tenir sa place ni dans le monde brillant ni au lansquenet. Il se réfugia dans ses serres-chaudes, où il régnait à son gré, maître de la température et dirigeant les magnifiques produits qu’il obtenait. Le factice lui convint toujours, et il était là dans sa gloire. C’est dans cette solitude de Blackheath qu’il a écrit d’excellentes pages, dont plusieurs, publiées pour la première fois par lord Mahon, sont d’un vif intérêt, et méritent d’être citées : tels sont les portraits de Bolingbroke, d’Arbuthnot, de Pope et des principaux personnages de son temps : nous citerons celui de Bolingbroke
« Lord Bolingbroke, dit-il, ne peut être peint que des couleurs les plus violentes et les plus vivement contrastées. Ses vertus et ses vices, sa raison et ses passions, ne se fondaient pas en teintes adoucies. — C’étaient des tons brusqués de l’effet le plus saillant, du contraste le plus soudain. – Ici les ombres les plus noires, là les lumières les plus brillantes, et d’une opposition d’autant plus frappante, qu’elles étaient plus rapprochées. L’impétuosité, l’excès et presque l’extravagance caractérisaient, non-seulement ses passions, mais encore ses sens. Sa jeunesse fut marquée par tout le tumulte et les orages des plaisirs ; il se livrait avec orgueil et sans réserve à la volupté, dédaigneux de tout décorum. Souvent sa riche imagination s’échauffait et s’engourdissait avec ses sens, en célébrant et presque en déifiant la courtisane d’une soirée ; pour lui, le plaisir de la table n’avait de bornes que les dégoûtantes orgies de bacchanales extravagantes. Chez lui, ces passions ne connaissaient jamais d’autre frein que l’empire d’une passion plus forte, l’ambition ; celles-là minèrent sa santé et sa réputation ; l’autre détruisit et sa fortune et sa renommée. Jeune encore, il se mêla de politique, et il s’y distingua. Sa pénétration était presque intuitive, et il embellissait de l’éloquence la plus brillante tous les sujets sur lesquels il parlait ou écrivait. Ce n’était pas une éloquence étudiée, élaborée, c’était une diction