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le nourrisson fameux du pays des Auronces, Auruncoe magnus alumnus ; mais les manuscrits des Satires avaient tous disparu, et il fallut aller demander les rares débris du poète, courts lambeaux, vers incomplets, pensées inachevées, phrases interrompues, ou même mots isolés, aux grammairiens et aux scoliastes qui, par hasard, avaient cité de lui quelque chose c’est ce que firent les Estienne au XVIe siècle, dans leur recueil des Fragmens des vieux poètes latins, d’où le plus jeune érudit d’une famille très érudite, le Hollandais François Dousa, tira, en 1597, une édition particulière et fort augmentée des Satires de Lucile. Cent ans plus tard, Bayle, qui mettait la main sur toutes les curiosités, disait dans un piquant article de son Dictionnaire : « Ces fragmens auraient besoin d’être encore mieux éclaircis par quelque savant homme. » Près d’un siècle et demi s’est écoulé depuis, sans que personne s’avisât de répondre au vœu de Bayle. Cette tâche difficile vient enfin d’être abordée et remplie par un habile latiniste, M. Corpet[1], à qui l’on devait déjà une bonne version d’Ausone : cette recension intelligente de Lucile classe M. Corpet au premier rang de nos érudits. Le nouveau critique est de l’école française ; sa critique est claire, prudente ; elle ne se perd pas dans les hypothèses et se borne aux restitutions nécessaires. Sans doute, le texte établi par M. Corpet pourra, comme il arrive toujours dans ces sortes d’entreprise, être contesté dans certains détails ; mais l’ensemble est assez satisfaisant pour qu’on puisse affirmer sans hésitation que Lucile a définitivement rencontré son éditeur. Au milieu des fatras plus ou moins érudits qui inondent l’Europe dans ce siècle de critique et d’analyse, j’ai rencontré peu d’ouvrages aussi réellement utiles et aussi intéressans que celui-là.

Il est juste de dire que M. Corpet a été aidé par certains travaux particuliers, par diverses monographies publiées depuis quelques années. Après deux siècles et plus du silence le plus injuste, la faveur en effet semble être tout à coup revenue au satirique de la vieille Rome ; maintenant c’est presque un thème à la mode. M. Varges, le premier en date, venait à peine, en 1835, d’insérer dans le Rheinisches Museum, qui se publie à Bonn, une dissertation de quelques pages sur certains points, surtout chronologiques et géographiques, de la biographie du poète, que M Patin, dans les premiers mois de 1836, donnait à la

  1. Satires de Lucilius, fragmens revus, etc., par M. Corpet ; 1 vol. in-8o, 1845, Paris, chez Delion, 47, quai des Augustins.