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bien, malgré toutes mes répugnances et mes craintes, que je me décide à prendre ce dangereux parti.

« La douleur est ma muse, elle a tous mes secrets ;
« Aussi, je l’avouerai, n’est-ce pas sans regrets,
« Sans cette pudeur fière, aux malheureux connue,
« Que je livre aux regards mon ame toute nue.

« Mais il le faut, vous le voulez ; et, puisque c’est une dernière planche de salut, je vais encore m’y hasarder.

« JOSEPH LABATUT. »


Après de tels accens de vérité, on n’a plus qu’à citer quelques pièces à l’appui. Nous en pourrions trouver d’un ton plus élevé, mais inégales ; nous aimons mieux en choisir de toutes simples, de naturelles, et faites, ce nous semble, pour toucher. Elles sont beaucoup plus pures d’expression que l’auteur ne paraît le croire ; elles montrent combien, chez lui, le travail intérieur est possible, et qu’il n’a, pour se perfectionner, qu’à se faire lire de bons modèles (ils ne sont pas si nombreux), et à ne pas forcer sa voix, à la régler toujours sur le sentiment dont il est pénétré.

UNE DOULEUR.

J’aime la joyeuse alouette,
L’alouette volant en rond,
Quand le soleil en silhouette
Découpe l’ombre du grand mont.

J’aime de ce mont que j’affronte
A suivre le sentier rampant
Qui sur ses flancs ondule et monte
Comme un gigantesque serpent.

J’aime de loin, quand les faucilles
Renversent les blondes moissons,
Les voix en chœur des jeunes filles
Répondant aux voix des garçons.

J’aime la cascade éperdue,
Qui, dans son gouffre frémissant,
Du haut des rochers suspendue
Tombe et sanglote en se brisant.

J’aime la femme belle et pâle
Dont les yeux, pleins d’un doux secret,
Lèvent au ciel par intervalle
Un regard qui semble distrait.