On tenta tous les remèdes, et en désespoir on l’envoya au Bugue pour essayer de l’influence d’un climat méridional. Il acheva d’y perdre la vue. C’est là qu’isolé, tout-à-fait aveugle, après avoir passé par les horreurs d’une tentation sinistre de mort, un matin de printemps, il s’avisa de demander à la poésie, au chant, quelque chose de ce qu’il avait demandé vainement au pinceau et à la lumière, un haut refuge du moins, une patrie idéale où se reposer. N’est-ce point, en effet, l’antique Aveugle qui a dit : « La Muse qui l’aima entre tous lui partagea le bien et le mal : elle le priva des yeux, mais lui donna une voix harmonieuse. » Cette compensation céleste s’est bien des fois vérifiée depuis. Le jeune homme fit donc des vers ; il les fit d’abord au hasard, un instinct naturel lui révélait la mélodie ; quelques études opiniâtres, bien incomplètes pourtant, telles qu’on peut se les figurer en ce lieu et en cette situation, lui permirent de s’enhardir un peu. Un ami, ce même ami de son père, à qui parvinrent les essais du pauvre aveugle, eut l’idée de les faire imprimer. L’extrait de lettre que cite M. Pellissier montre combien le poète est peu disposé à s’abuser sur des productions qui sont, avant tout, pour lui, des consolations secrètes, des épanchemens solitaires : nous ne craindrons point, après M. Pellissier, de donner ici cette lettre, cette humble et touchante préface, et qui a sa fierté aussi :
Bugue, le 27 juillet 1845.
« Vous avez reçu le long, mais indispensable errata de mon manuscrit. Que ne puis-je de même remédier aux défauts de composition, de goût et de clarté qui s’y rencontrent en foule ! La chose est bien autrement difficile. Je voudrais être près de vous pour faire les améliorations indiquées ; mais le pourrai-je de si loin ? Ne m’arrivera-t-il pas de remplacer le mauvais par le plus mauvais encore ? Je sens pourtant la nécessité de corriger, et beaucoup je viens de le tenter ; mais, épreuve faite, je nie vois presque dans l’impossibilité d’y réussir. Je ne connais pas une de mes pièces, où j’aie jamais fait le moindre changement notable, si ce n’est à l’inverse du précepte de Boileau, en ajoutant quelques strophes ou quelques vers par intervalle.
« Si j’avais moi-même publié mes poésies, j’en aurais retranché les morceaux les plus faibles, et j’aurais tâché de faire disparaître les fautes les plus grossières.
« C’est ainsi que je me serais offert aux yeux de l’observateur, non comme un écrivain, non comme un poète, mais comme un exemple des sensations et des idées d’un homme qui n’a reçu d’autres leçons que celles du malheur.
« Vous le savez, ce n’est pas un vain désir de célébrité qui m’a fait céder à vos instances, et consentir à livrer au public des vers que j’aurais voulu garder pour moi et pour quelques rares amis qui sont bien obligés de supporter quelque chose.
« Si, jusqu’à présent, je m’étais toujours refusé à me faire imprimer, c’est que je trouvais un autre moyen de vivre ; il me manque aujourd’hui, et il faut