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REVUE LITTERAIRE.




Les générations jeunes, celles qui ont vingt-cinq ans plus ou moins et qui n’en ont pas encore trente, commencent à sentir très vivement le désir d’avoir des représentans à eux, des chefs de leur âge et, en quelque sorte, de leur choix ; elles les cherchent dans tous les genres, elles les appellent et les convient ; elles les proclament même parfois à tout hasard ; elles les inventeraient au besoin, plutôt que de s’en passer. C’est là un noble désir assurément, une ambition bien permise. Les générations toutes fraîches tiennent à ne pas se confondre dans ce qui les a précédées, à ne point paraître venir à la suite ; elles veulent à leur tour commencer quelque chose, marcher en tête de leurs propres nouveautés, avec musique et fanfares, et guidées par les princes de leur jeunesse. Rien de mieux encore une fois ; le champ est ouvert, il ne le fut jamais davantage. Les prédécesseurs, en effet, ont largement fait brèche et déblayé le terrain ; ils ont renversé tous les obstacles, toutes les barrières, et sont loin d’ailleurs d’avoir satisfait (tant s’en faut !) toutes les espérances. Qu’on aille donc, et qu’on fasse plus et mieux qu’eux. Seulement, quel que soit l’essor de jeunesse, il importe de se rendre compte des difficultés aussi, de se bien dire qu’on n’atteint pas le but du premier coup ; qu’un champ ouvert, et où l’on entre sans assaut, n’est pas plus facile à parcourir peut-être ; que l’obstacle véritable et la limite sont principalement en nous, et que c’est avec son propre talent qu’on a surtout affaire, pour l’exercer, pour l’aguerrir, pour en tirer, sans le forcer, tout ce qu’il contient.

Le Théâtre-Français a représenté une pièce nouvelle de M. Émile Augier, déjà connu par le succès qu’avait obtenu son gracieux essai de l’année dernière, la Ciguë, une espèce de petit proverbe athénien. Cette fois, le jeune auteur a voulu tenter la comédie proprement dite et tracer un caractère. Son Homme de bien, en trois actes, dont bien des scènes sont agréablement versifiées, n’a rempli qu’imparfaitement l’attente du public et, nous le croyons aussi, l’espoir de l’auteur lui-même. Celui-ci a, de nouveau, fait preuve