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Voilà donc la part du cultivateur ou fermier déterminée : elle se compose du profit naturel, c’est-à-dire ordinaire, de ses capitaux et du salaire de son travail. Cela posé, le compte du propriétaire est facile à faire. Tout ce qui reste du produit de l’exploitation, la part du cultivateur prélevée, revient au propriétaire et constitue la rente. La rente se forme essentiellement d’un excédant, de l’excédant du produit de la terre sur le salaire du travail et le profit des capitaux employés à la culture. La part du fermier a donc une mesure ; la rente du propriétaire n’en a pas. Aussi varie-t-elle suivant les contrées ; elle varie même d’une exploitation à l’autre, selon que la terre est plus ou moins fertile, la situation plus ou moins heureuse, et les divers avantages qui s’y rattachent plus ou moins étendus.

Puisque la part du cultivateur est en quelque sorte déterminée, et qu’au contraire la rente du propriétaire ne l’est pas, il est clair que toute mesure législative qui tend à augmenter ou à diminuer le produit des exploitations rurales est indifférente au cultivateur, et n’affecte jamais, au moins dans ses effets durables, que le revenu foncier. Qu’on établisse, par exemple, un nouvel impôt sur les terres : croit-on par hasard que le cultivateur en souffrira ? Oui, accidentellement, et jusqu’à l’expiration de son bail, mais non au-delà, car il ne supporterait pas long-temps une aggravation de charges qui réduirait outre mesure le produit de son travail. Supposez au contraire un dégrèvement de l’impôt foncier : est-ce le cultivateur qui en profitera ? Pas davantage. Aussitôt, en effet, que le produit de l’exploitation s’élèverait au-dessus de la mesure commune, le propriétaire avisé se hâterait d’élever dans la même proportion ses exigences, et les concurrens qui se présenteraient en foule lui en fourniraient à la fois l’occasion et le moyen. Ainsi, d’une et d’autre part, la position du cultivateur reste ou redevient la même, la rente seule est affectée : c’est sur le propriétaire que le fardeau retombe dans le premier cas ; c’est à lui seul que l’allégement profite dans l’autre. Il en est de même de toute mesure qui tend à élever ou à abaisser d’une manière factice, mais régulière et constante, la valeur vénale des produits du sol. Lorsque, par des restrictions à l’importation du dehors, on assure aux denrées nationales un prix factice supérieur au prix naturel, s’il est vrai qu’on augmente le produit ordinaire des exploitations rurales, et on n’en saurait douter, il n’est pas moins certain que cet accroissement de produit ne fait que grossir la rente, sans qu’il en reste en définitive la moindre parcelle au cultivateur ou exploitant.

Distinguons toutefois les effets transitoires des lois d’avec leurs