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sa rigueur. En général, les branches de l’industrie manufacturière se trouvent dans le premier cas ; le second cas est particulièrement celui de l’industrie agricole.

Il n’est presque jamais exact de dire, à l’égard de l’industrie manufacturière, comme on le fait souvent, que les droits établis sur les marchandises étrangères permettent aux producteurs nationaux d’exagérer leurs prix et de faire des bénéfices énormes, ou du moins cela n’est vrai que durant un certain temps. Que, le lendemain de l’établissement d’un droit restrictif de l’importation, les usines antérieurement fondées dans le pays puissent, à la faveur de cette mesure, réaliser des bénéfices plus qu’ordinaires, cela n’est pas douteux ; toutefois cette situation exceptionnellement avantageuse ne peut être évidemment que transitoire, car, dès l’instant qu’elle est connue, et elle ne tarde pas à l’être, des établissemens rivaux s’élèvent à l’envi, et, par l’effet seul de cette rivalité, les bénéfices ne tardent pas à descendre au niveau commun. Tout ce que les lois restrictives peuvent faire à l’égard d’une industrie de cette sorte, c’est de la maintenir dans le pays, en dépit de son infériorité relative ; jamais elles ne peuvent assurer aux hommes qui l’exploitent des bénéfices exorbitans. Mais ce qui est inexact dans l’application qu’on en fait à l’industrie manufacturière est rigoureusement vrai par rapport à l’industrie agricole. Si le nombre des usines ou des manufactures peut se multiplier indéfiniment au gré des circonstances, et selon que les avantages qu’elles offrent provoquent à les fonder, il n’en est pas de même des exploitations rurales ; le nombre en est fatalement borné par l’étendue du territoire. Ici le monopole est absolu, en ce sens que la concurrence, écartée sur la frontière, n’a aucun moyen pour se multiplier au dedans. Aussi ce monopole porte-t-il tous ses fruits. C’est à ce point que, si tous les produits agricoles d’un pays étaient également protégés par des prohibitions absolues contre les produits similaires de l’étranger, on verrait leur valeur vénale s’enfler et grossir toujours, sans qu’il y eût aucune limite possible à ce continuel exhaussement des prix.

Cette situation particulière de l’industrie agricole n’a pas été suffisamment comprise, et trop souvent, dans les ouvrages même des meilleurs économistes, toutes les mesures restrictives de l’importation, quels que soient les objets auxquels elles se rapportent, sont confondues dans le même anathème, dans une égale réprobation, comme si elles devaient produire nécessairement les mêmes effets. Il est certain pourtant qu’il y a à cet égard, quoi qu’on en dise, des distinctions