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page aussi, sur cette vieille gloire latine, dès long-temps éclipsée, respire une véritable mélancolie qui se redouble dans la pensée de cette jeunesse d’hier déjà moissonnée. L’antique satirique, latin et le jeune critique qui l’aurait voulu faire revivre sont à jamais réunis…

Quo pius AEneas, quo Tullus dives et Ancus !




Entre tous les poètes anciens dont les œuvres ont disparu au milieu de la barbarie du moyen-âge, les plus dignes de regret sont peut-être Ménandre et Lucile, la comédie attique dans la fleur de son urbanité et de son enchanteresse perfection, la satire latine dans toute la vigueur de son originalité native. L’époque où parut Lucile est assurément l’une des plus solennelles, l’une des plus curieuses de la vie romaine ; deux élémens sont en présence : l’austérité antique et l’infamie des mœurs nouvelles. Telle est la lutte que le poète avait décrite avec toute la vivacité de ses pinceaux : une société corrompue qui retenait pourtant quelque chose de l’ancienne grandeur, les gloires de la république à leur premier déclin, ce sourd travail enfin de dissolution morale qui semblait, en le nécessitant, annoncer la venue prochaine du christianisme, tout cela se retrouvait dans ses vers. On voit l’étendue de la perte qu’a faite ici la littérature.

Juvénal a dit : « Lorsque l’ardent Lucile, frémit et s’arme d’un glaive étincelant (ense velut stricto), le criminel, en proie à des frissons internes, rougit, et la sueur des remords dégoutte de son cœur. » Vous reconnaissez ce libre railleur qui, au rapport d’Horace, avait jeté le sel à plein main, ce censeur impitoyable qui, selon Perse, déchirait toute la ville. Sans doute, à travers les variations du goût, avec les progrès de la langue, on put trouver que le style du poète devenait suranné ; sa plaisanterie même, qui enchantait encore Cicéron (summa urbanitas, dit l’auteur des Tusculanes), blessait plus tard la délicatesse d’Horace, lequel ne pardonnait pas à Luile les admirateurs qu’il gardait Lucile cependant continua d’être beaucoup lu : « La satire, écrit Quintilien dont l’important témoignage veut être noté, est tout-à-fait nôtre, et Lucile, qui le premier s’y est fait un grand nom, a encore aujourd’hui des partisans si passionnés, qu’ils