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l’abondance comparative de leurs récoltes, on a conclu quelquefois qu’ils pouvaient admettre une législation plus libérale, une plus grande facilité dans l’exportation, et en y regardant bien on voit que cette facilité même faisait toute la différence. Comment en douter quand on voit les mêmes pays passant tour à tour à l’état de contrée fertile ou besoigneuse, selon que la législation s’y prête ou s’y refuse à l’exportation des grains ? Nous venons d’observer ce phénomène dans l’histoire de l’Angleterre ; on le retrouve, avec des circonstances différentes, dans l’histoire plus récente encore de la Belgique. Qui ne se souvient qu’au temps de la restauration, alors que les provinces belges étaient soumises au gouvernement de la Hollande, ce petit pays, soumis à des lois très libérales, fut à plusieurs reprises comme la providence des peuples voisins ? On en parlait aussi comme d’une sorte de grenier d’abondance, terre fertile en blés. La France et l’Angleterre venaient y puiser tour à tour et quelquefois en même temps. Vers 1830 surtout, la disette s’étant manifestée à la fois dans ces deux pays, les agens anglais et français s’abattirent sur les campagnes de la Belgique comme des nuées de sauterelles. Il semblait qu’ils dussent en peu de temps épuiser le pays. Il n’en fut rien pourtant. La Belgique répondit à toutes les demandes qui lui étaient faites, et ne s’en trouva pas plus mal. Ni le gouvernement ni le peuple ne s’émurent de cette exportation inusitée : il y eut seulement quelques rassemblemens tumultueux sur les marchés de la ville de Bruges, où le bas peuple est peut-être plus ignorant et plus turbulent qu’ailleurs ; mais le gouvernement n’en tint pas compte, et l’expérience prouva qu’il faisait bien. Tant que la Belgique persista dans cette sage conduite, l’embarras des subsistances fut chose inconnue pour elle. Elle conserva sa réputation de grenier d’abondance, de terre fertile, inépuisable. C’est depuis qu’elle pratique un autre système que l’état des choses a changé.

Laissons à part la détresse présente de ce pays, détresse qu’on peut attribuer, si l’on veut, à des circonstances malheureuses, exceptionnelles. Toujours est-il que la Belgique n’est plus ce qu’elle était. Sous l’empire d’un régime nouveau, elle a perdu sa couronne ; elle a perdu la réputation qu’elle s’était faite et sa sécurité. La Belgique commence une existence nouvelle, existence orageuse, précaire, semée de périls et d’alarmes. Encore un pas dans cette voie, et elle n’aura bientôt plus rien à envier à l’Angleterre. Après avoir si longtemps vanté sa fertilité, on dira d’elle ce qu’on dit si naïvement de