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à cet égard exception ? Elle n’a pas de limites nécessaires et fixes, car toute terre ensemencée, par exemple, en blé, peut fort bien être affectée à d’autres usages, et l’est même nécessairement quelquefois, de même qu’un grand nombre de terres où rarement le blé figure dans la rotation de l’assolement sont néanmoins très aptes à le produire. Dès-lors il est clair que les tableaux de statistique ne prouvent rien quelle que soit la somme actuelle des produits, on ne saurait en tenir compte, puisque rien n’empêche qu’elle ne s’élève ou ne s’abaisse sous un régime nouveau. Si l’on doute de la vérité de cette hypothèse, on n’a qu’à prendre les faits au hasard, dans un pays quelconque, dans le présent ou dans le passé, et l’on verra qu’il n’y en a pas un seul qui ne la confirme hautement.

Supposons un pays où le commerce des grains soit doublement entravé par des lois également prohibitives à l’importation et à l’exportation : quelles sont les conséquences naturelles d’un tel régime ? Les voici : la production, réduite au seul débouché du marché intérieur, mais en même temps sûre d’y régner seule, fournit à peu près exactement ce que ce marché réclame ; c’est en effet ce qu’on remarque partout où une semblable législation est en vigueur. Toutefois, l’influence des saisons étant au-dessus de la prévoyance humaine, les producteurs établiront comme de raison leurs calculs sur le rapport des années communes. De là l’insuffisance de la denrée dans les années mauvaises, et la surabondance dans les années fertiles ; de là aussi tour à tour le malaise pour le peuple ou la ruine pour le cultivateur. Les lois prohibitives du commerce des céréales ne laissent guère, en effet, que l’alternative entre ces deux maux.

On peut même remarquer, dans les pays soumis à ce régime, une sorte de flux et de reflux de la production assez curieux à observer. Les cultivateurs, avons-nous dit, mesurent la production sur les besoins avec un tact assez sûr ; mais ce n’est point par des calculs complexes, dont ils sont fort incapables, et que l’administration même est inhabile à dresser : c’est par les facilités ou les difficultés qu’ils rencontrent dans l’écoulement de leurs produits. Qu’arrive-t-il cependant ? On sait qu’assez généralement plusieurs mauvaises années se succèdent, puis viennent à la suite l’une de l’autre quelques années fertiles. Durant les premières, les prix, n’étant pas modérés par la concurrence étrangère, s’élèvent au-delà de toute mesure, et les cultivateurs réalisent sur la vente de leurs produits des bénéfices énormes. Alors séduits à la fois par la facilité du débouché et par la grandeur des bénéfices, ils étendent la culture ; ils se hâtent d’ensemencer en