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de ses projets, avait préparé plusieurs autres articles dont nous espérons que l’examen de ses papiers permettra de faire profiter à quelque degré nos lecteurs. Ce qui distinguait ce jeune et docte esprit, c’était la facilité et la fertilité du travail, l’expansion en bien des sens, et cette souplesse heureuse d’application qui est un don du critique. Lorsqu’il y a dix années environ, c’est-à-dire âgé de vingt ans au plus, il entra dans la rédaction de cette Revue, il y arrivait tout rempli de saines et solides lectures ; ce qu’il avait lu, à cet âge, de vieux livres, de ces antiques auteurs qui semblent si peu flatteurs pour la jeunesse était prodigieux. Son premier article, sur Gabriel Naudé (du 15 août 1836), peut donner idée de cette surabondance de nourriture gauloise excellente. M. Charles Labitte était né avec une vocation marquée pour la critique et pour l’histoire littéraire ; on aurait, dit qu’il avait appris à épeler dans Niceron, et qu’il avait lu couramment, pour la première fois, dans Bayle. Jeune homme, ou plutôt encore adolescent, ses idées se tournèrent aussitôt vers des portions mal connues du vaste champ du moyen-âge ; avant de quitter Abbeville, son pays d’enfance, il avait entrepris, avec un de ses amis, d’écrire l’histoire des Sermonaires de ces vieux siècles : son premier rêve, on le voit, avait été celui d’un jeune bénédictin. Mais ce n’est pas en ce moment que nous pouvons suivre toutes ces traces de sa pensée et en relever les divers essors ; nous lui paierons prochainement en détail un particulier hommage, et nous le mettrons à son rang, trop tôt conquis, dans cette série des Critiques et Historiens littéraires qu’il semblait destiné à enrichir longtemps. Ses intéressans, ses riches et copieux articles sur Lemercier, sur Raynouard, sur Michaud, sur Marie-Joseph Chénier, dans lesquels se remarque une continuité sensible de progrès, ont laissé souvenir et profit chez tous ceux qui les ont lus. La biographie littéraire a fait bien des progrès de nos jours en France, et le genre s’est de toutes parts agrandi : nous pouvons dire sans exagération que M. Charles Labitte lui a fait faire un pas de plus. Par l’extrême richesse de détails et par la curieuse profusion de documens qu’il y versait, il a obligé ceux de ses collaborateurs et amis, qui étaient à quelques égards ses devanciers, à devenir plus curieux et plus complets à leur tour. Nous redirons tout cela un autre jour avec développement ; on le verra aussi, dans sa vivacité aimable, se multiplier souvent, et porter de l’un à l’autre un liant et un stimulant qui sont le charme et la vie des lettres. Dans ces dernières années, appelé par M. Tissot à le suppléer au Collège de France, ses études, sans devenir jamais exclusives, avaient dû se diriger plus habituellement vers l’antiquité latine, et déjà nos lecteurs en avaient goûté les fruits. Ce bel et sévère article sur Varron, inséré il y a un mois, n’était qu’un prélude, une grave ouverture qui promettait une série de travaux analogues. Lucile succède aujourd’hui, et par la nature du sujet, par la gaieté de la plume qui s’y joue, ce morceau contraste en plus d’un endroit avec les idées funèbres qu’il réveille. Pourtant, en avançant, la pensée s’y fait sérieuse, et, quand le critique a rencontré le fragment sur la vertu, qu’il qualifie d’admirable, il s’arrête et il aime à clore par ce haut enseignement. La dernière