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dans l’intérêt de la subsistance du peuple, restreindre de l’autre l’importation des grains étrangers dans l’intérêt prétendu de la culture du sol.

Voilà donc dans quels termes se présente aujourd’hui la question des céréales. Tous les préjugés anciens subsistent, quoiqu’ils aient peut-être, dans certaines régions, perdu quelque chose de leur intensité[1] ; mais il s’y mêle désormais une idée nouvelle, qui doit toute sa valeur, tout son crédit, à la prédominance d’une certaine classe, idée qui consiste surtout à faciliter la vente des grains indigènes, tantôt en favorisant leur écoulement au dehors, tantôt, et plus souvent encore, en repoussant à la frontière les grains étrangers.

Nous disons que cette idée, que ce nouvel esprit appartient essentiellement aux pays constitutionnels, où l’influence des propriétaires fonciers domine, et, si l’on doutait de la vérité de cette assertion, il suffirait d’ouvrir l’histoire pour s’en convaincre. En France, sous l’ancien régime, et dans tout le cours du XVIIIe siècle, malgré les entraves de toutes sortes dont le commerce des grains était chargé à l’intérieur, l’importation des grains étrangers fut constamment admise comme une sorte de droit invariable et consacré, tandis qu’au contraire l’exportation des grains indigènes fut généralement interdite. On ne dérogea à ce dernier principe que deux fois dans le cours d’un siècle, en 1764 et en 1787, et dans l’un et l’autre cas cette tolérance accidentelle, qui n’était pas d’ailleurs exempte de restrictions, fut de si courte durée, qu’elle n’eut pas même le temps de porter ses fruits. La révolution et l’empire ne s’écartèrent point en cela de la politique ancienne. Lorsque, par son décret du 29 août 1789, l’assemblée constituante rendit au commerce des grains sa liberté à l’intérieur, elle excepta, par une disposition expresse, le commerce avec le dehors, et bientôt, par un autre décret du 18 septembre suivant, elle déclara même attentatoire à la sûreté et à la sécurité publiques toute exportation de grains et farines à l’étranger. Jusqu’à l’époque du consulat, le commerce des grains, quand il ne fut pas totalement interdit, fut renfermé dans l’intérieur. L’introduction des blés étrangers demeura néanmoins tacitement autorisée en vertu d’une longue coutume, tandis que l’exportation, suspendue par le décret de l’assemblée constituante, demeura interdite de fait et de droit. Le

  1. Nous pourrions à cet égard citer la circulaire récente de M. le ministre du commerce, qui nous parait une couvre de haute raison. Ce n’est pas à des actes de ce genre que nos critiques s’adressent.