Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Hélas ! mon enfant, telle est sa volonté, répondit la baronne ; il vous aime déjà, il est heureux d’avoir une si charmante nièce, mais il ne veut pas pardonner à sa sœur.

— Mon père nous défend de revoir ma cousine ! dit douloureusement Anastasie.

— Non, ma fille, il n’a pas parlé de cela, heureusement, répondit Mme de Colobrières. Voici sa volonté, telle qu’il me l’a fait connaître aujourd’hui en revenant de la messe ; je répète ses propres paroles : « J’ai reconnu Mlle de Belveser pour ma nièce, et j’ai trouvé bon qu’elle vînt faire connaissance avec nos enfans ; mais sa place n’est point parmi nous, car jamais sa mère ne rentrera dans ce château. Il ne faut pas qu’on puisse dire que le baron de Colobrières, après avoir renié sa sœur parce qu’elle s’était mariée avec un roturier, lui a pardonné parce que ce mariage l’a enrichie. Je vous défends ainsi qu’à nos enfans de voir jamais Mme Maragnon, et je vous déclare que vous encourriez toute mon indignation, si, à mon insu, vous vous rendiez, sous prétexte de visite, au château de Belveser. »

— Ah ! murmura Éléonore, c’est cruel, cela ! Chère Anastasie, j’aurais été si heureuse de vous recevoir chez nous, dans la maison de ma mère !

Les deux jeunes filles se jetèrent dans les bras l’une de l’autre en sanglotant ; la baronne aussi mit son mouchoir sur ses yeux ; Gaston seul ne pleurait pas, mais il baissait la tête d’un air morne, et étouffait en son ame d’un chagrin qu’il ne comprenait pas.

Enfin la baronne se remit un peu, et, après avoir réfléchi, elle dit aux deux cousines éplorées : — Mes enfans, j’imagine un moyen d’obéir aux ordres de M. le baron, sans cesser pour cela de vous voir. Ma nièce ne reviendra pas au château ; nous ne pouvons aller lui rendre sa visite à Belveser ; mais il n’est pas défendu de se rencontrer quelque part à mi-chemin.

— Oh ! ma mère, quelle bonne idée ! interrompit Anastasie.

— Chère bonne mère, que vous savez bien nous conseiller en toutes choses ! dit vivement Gaston.

— Ah ! ma tante, comme je viendrai souvent me promener de ce côté, si je dois quelquefois vous y rencontrer ! s’écria Éléonore en pressant contre son cœur les mains de la vieille dame.

— Moi, je ne m’éloigne guère du château, reprit Mme de Colobrières ; il faut que je tienne compagnie à M. le baron ; mais Gaston et sa sœur font de longues promenades : ils iront vous trouver jusqu’aux limites du domaine de Belveser.