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château de son oncle commençait à lui paraître un séjour des plus mélancoliques. Anastasie poussa résolument la porte du donjon, laquelle demeurait entr’ouverte depuis que la clé ne tournait plus dans la serrure rouillée ; puis elle monta la première le raide escalier qui allongeait sa spirale jusqu’aux étages supérieurs de la tour. L’aspect de ces lieux n’avait rien d’effrayant ; le soleil donnait en plein sur les marches usées, et les passereaux sautillaient gaiement au bord des fenêtres. Après avoir gravi une centaine de marches, les deux jeunes filles arrivèrent sur un étroit palier.

— À présent, il faudrait monter là-haut, dit Anastasie en désignant un autre escalier plus raide encore et plus étroit, lequel s’appuyait d’un côté sur la muraille et était bordé de l’autre côté par une légère rampe en bois. Cette échelle de pierre montait droit au faîte du donjon, et aboutissait à une petite plate-forme pratiquée entre les créneaux, dont l’échancrure formait une espèce de balcon à hauteur d’appui.

— Allons ! s’écria Éléonore en devançant cette fois sa cousine.

Elles franchirent légèrement l’escalier, et s’arrêtèrent ravies à l’aspect du paysage qui se déroulait à leurs pieds. Le soleil avait déchiré le voile de brume qui flottait sur la vallée, et ses rayons vainqueurs semblaient pénétrer toute la création. L’automne avait jeté çà et là ses teintes mornes ; mais la végétation nouvelle se montrait déjà sous les pampres jaunis que le vent emportait, et l’on voyait poindre dans les champs la tendre verdure des blés. Éléonore posa la main sur le bras de sa cousine, et dit en lui montrant le ruisseau bordé de peupliers qui traversait la plaine : — Voyez-vous, Anastasie, voyez-vous au-delà de ces arbres un pont jeté sur le ruisseau ?

— Oui, répondit-elle, et au-delà je distingue comme un immense parterre, puis la façade d’un grand édifice. Ma cousine, il n’y a pas long-temps qu’on a bâti cette magnifique habitation ?

— Elle est à peine achevée, répondit Éléonore ; lorsque ma mère acheta la tour de Belveser, il y a trois mois environ, elle voulut agrandir son domaine et fit aussi l’acquisition d’une terre dans la vallée. Au lieu de réparer la tour, elle a fait bâtir une belle habitation au fond de la colline, et c’est le nouveau château de Belveser que vous voyez là-bas.

— Un beau château tout neuf, dit Anastasie en admiration.

— À présent, nous demeurerons à Belveser la moitié de l’année, continua Éléonore ; ce séjour plaît à ma mère ; il lui semble presque qu’elle habite Colobrières. Quand nous nous promenons le soir sur la