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embauchage, et, par représailles, les jésuites refusent aujourd’hui l’entrée de leur collège à M. l’évêque de Tournay, qui cependant a beaucoup fait pour eux. Ils travaillent même, dit-on, à enlever à ce prélat la direction du grand et du petit séminaire, à l’expulser, en d’autres termes, de chez lui. Encore quelques faits semblables, et l’antique haine de l’épiscopat belge contre la compagnie de Jésus pourrait bien se raviver. Qui sait même si l’épiscopat ne se rallierait pas aux doctrines gallicanes ? Cette hypothèse, qui, eût paru absurde il y a dix ans, deviendrait très probable le jour où l’influence des jésuites prévaudrait ouvertement à la cour de Rome. Les évêques seraient dès-lors forcés de reconnaître qu’en répudiant le contrôle de l’état, ils ont répudié aussi sa protection.

J’ai montré que l’avènement du parti libéral n’était plus qu’une question de temps. Comment usera-t-il du pouvoir ? ’Mettra-t-il à profit les leçons du passé ? Saura-t-il échapper à ces luttes de principes qui ont long-temps énervé dans ses mains toute action et toute résistance ? Il est peut-être permis de l’espérer. La question de réforme, cause principale de ces dissentimens, devient à peu près oiseuse du moment où doctrinaires et radicaux obtiennent, dans le cercle des institutions actuelles, le résultat qu’ils poursuivaient en commun, mais par des moyens opposés. Il s’opère d’ailleurs dans les rangs du libéralisme extrême une réaction très marquée en faveur des idées de centralisation. M. de Potter et ses écrits républicains sont complètement oubliés. M. Gendebien, qui dirigea jusqu’en 1839 le groupe radical de la chambre des représentans, a déchiré son mandat dans un moment d’humeur ; sa retraite a beaucoup facilité le rapprochement des deux fractions libérales. M. Veraehegen, qui semblait avoir recueilli l’héritage politique de M. Gendebien, a pris résolument fait et cause pour la prérogative royale dans la question du jury universitaire. M. Delehaye vote avec M. Veraehegen ; bien qu’il lui arrive d’opiner dans un autre sens. M. Castiau s’abstient de plus en plus à la tribune de la propagande radicale qui déborde dans ses écrits. Mêmes tendances en dehors de la chambre : depuis 1844, les élections de Bruxelles, Tournay, Liége et Louvain, bien que dirigées par les loges maçonniques, où domine l’influence radicale, ont principalement porté sur des hommes du parti gouvernemental. De leur côté, les doctrinaires ne se montrent pas exclusifs : MM. Lebeau, Devaux et Rogier ont renié leurs théories ultra-gouvernementales dans les deux ou trois circonstances où le monopole ultramontain a prétendu se retrancher derrière ces théories.