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manquaient, un prétexte et un interprète ; je trouvai bientôt l’un et l’autre. En flânant dans les rues immondes de Widdin, j’avisai un monsieur, vêtu de noir, que je soupçonnai à bon droit d’habiter la ville depuis un mois au moins, sinon plus, puisqu’il n’appartenait pas à notre bateau. J’allai droit à lui et lui exprimai poliment, en italien, mon intention. — De quel pays êtes vous, monsieur ? me répondit cet homme en m’examinant de la tête aux pieds. Je nommai mon pays avec une certaine fierté que j’ai toujours ressentie, en pareille occasion, vis-à-vis des étrangers. — A la bonne heure, me dit le monsieur, je vous avais pris pour un Anglais. Le pacha de Widdin aime beaucoup les Français ; allez-le voir, il vous recevra à merveille, et vous trouverez dans le palais un drogman qui parle italien. À ces mots, mon interlocuteur m’indiqua la direction que je devais suivre, puis il me salua gravement et disparut. Je ne l’ai jamais revu. Resté seul, je réfléchis un instant sur le parti que j’avais à prendre. L’embarras et la curiosité luttaient en moi : ce fut ce dernier sentiment qui triompha, et je m’acheminai vers le palais du pacha en songeant à la circonstance bizarre qui allait me mettre en face de cet homme dont l’histoire m’avait intéressé plus d’une fois.

Hussein est un aventurier comme Baraïctar, comme la plupart des grands personnages de l’histoire turque contemporaine. D’abord simple membre de la corporation des portefaix, qui était affiliée au janissariat, il en devint plus tard le chef. Arrivé à ce grade, il se fit aisément remarquer par l’audace de son caractère, et il acquit à Constantinople, en maintes circonstances, une célébrité qui attira l’attention de Mahmoud. Hussein devint le plus turbulent des sujets de l’empire, et le perpétuel instigateur des désordres qui désolaient la capitale. Mahmoud connaissait les hommes ; au lieu de punir Hussein, il prétendit se l’attacher en satisfaisant tout d’un coup son ambition, et il le nomma aga (commandant en chef) des janissaires. Le sultan ne s’était pas trompé ; fier de sa dignité, Hussein renia sa vie passée, entra dans les vues du sultan, et prit avec zèle le parti du gouvernement contre la corporation dégénérée qu’il commandait. Il ne fut pas traître cependant ; aussitôt sa nomination, il fit prévenir ses amis qu’ils n’eussent pas à compter sur leurs anciennes relations, attendu que l’Hussein qu’ils avaient connu n’existait plus, et qu’ils ne trouveraient en lui qu’un aga inflexible. Il tint parole. Les janissaires, ne pouvant croire à un si brusque changement, renouvelèrent leurs émeutes et leurs désordres : Hussein fit étrangler quarante de ses meilleurs amis, et cette exécution ne fut pas la dernière. On sait avec quelle vigueur l’ancien aga, devenu en 1826 le confident des projets de réforme de