Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

traient sur le rivage bulgare. La rive valaque est plus basse, plus plate et plus nue. On y voyait seulement, de distance en distance, un factionnaire, vêtu de toile, coiffé d’un bonnet de fourrure ou d’un grand chapeau pareil à ceux des Bas-Bretons, qui se promenait son fusil sur l’épaule. C’étaient les gardiens du cordon sanitaire. La Valachie met en quarantaine tout ce qui traverse le Danube ; même en cas de mauvais temps, les bateaux poussés par le vent ne peuvent se réfugier vers la rive gauche, qui, pourtant, en bien des endroits, offre seule des abris ; ils en sont repoussés à coups de fusil, et cette situation des deux rives, dont l’une passe pour infectée, et dont l’autre craint la contagion, a été jusqu’ici un des grands obstacles de la navigation danubienne. Vers midi, la pluie augmenta de telle sorte, qu’il fallut se réfugier dans la salle. Nous mîmes tous habit bas, et fîmes à coups de serviette une si rude guerre aux moustiques, que les boiseries se trouvèrent bientôt teintes en rouge. J’eus occasion ce jour-là d’observer, dans les mœurs des moustiques, une bizarrerie que j’ai depuis retrouvée en Andalousie, et que les naturalistes n’ont jamais expliquée. Nous avions tous le visage horriblement piqué et tuméfié. Le capitaine seul et les gens du bord avaient été épargnés. Les moustiques, en effet, ne s’attaquent qu’aux étrangers, et ils laissent en paix ceux qui habitent leurs climats. A Cadix, à Malaga, où leur famille est très nombreuse, il en est de même ; les voyageurs sont dévorés vifs, malgré toutes les précautions, tandis que les indigènes dorment en paix sans moustiquaires. On m’a assuré qu’il fallait au moins trois ans pour s’acclimater. Le docteur ne sut pas me donner l’explication de ce phénomène ; mais, en revanche, le marchand de sangsues me raconta un apologue turc qui apprend pourquoi les hirondelles bâtissent leur nid sous le toit des hommes. Le moustique en est un peu la cause. Il y avait autrefois un roi moitié homme et moitié poisson. Ce roi voulut un jour savoir quel était de tous les animaux celui qui avait le sang le plus doux ; il envoya tous les insectes à la découverte : le moustique revint le premier, et dit qu’à son goût, le sang de l’homme était sans contredit le plus agréable. Le roi, qui ne pouvait souffrir les hommes, fut enchanté de cette réponse, et il allait ordonner qu’on lui préparât un bain de sang humain, un lac dans lequel il pût nager et vivre sans cesse, lorsqu’une hirondelle, qui avait tout deviné, se jeta sur lui, et le mordit à la langue avec une telle violence, qu’il resta muet pour le reste de ses jours. Il fit cependant un geste de fureur en montrant l’hirondelle, mais l’oiseau avait pris son vol, et, du haut du ciel : il cria : J’irai désor-