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de Pétersbourg et le faire se repentir de son manque de foi aux traités, il suffirait de creuser de nouveau le canal de Trajan de Czernavoda à Kustendjé. La Russie, alors dépossédée, se trouverait maîtresse d’une embouchure inutile et d’un marécage rendu, par l’abandon, si insalubre, que cet été encore les matelots russes ont péri par centaines à Galacz. En revanche, le Danube offrirait au commerce la plus belle voie qui soit ouverte aux produits de l’Europe centrale vers la mer Noire et l’Asie. Par là s’écouleraient les blés de la Valachie et de la Moldavie, qui sont de 20 pour 100 meilleur marché que les grains d’Odessa, et ceux de Temesvar, qui, rendus à la mer Noire, seraient encore d’un dixième moins chers que ceux de la Moldavie. Les productions de la Hongrie, qui se perdent et regorgent dans le pays, descendraient le fleuve. Ici s’élève un obstacle. L’Autriche craindrait peut-être, en donnant au commerce ces facilités, d’augmenter le prix des denrées que la Hongrie, privée de débouchés, doit lui fournir. Peut-être aussi ne tient-elle pas à voir tant prospérer un pays que la richesse rendrait plus difficile à gouverner. La Serbie, à défaut de blé, fournirait à la navigation du Danube la graisse de ses porcs et ses chênes magnifiques, qui, sur un sol pierreux, acquièrent une dureté qui manque aux arbres des autres principautés. La Croatie écoulerait par cette voie ses bois de construction au lieu de les transporter, avec des frais énormes, par terre, à Trieste. Enfin les produits de l’industrie allemande iraient par là lutter en Orient avec les produits de l’industrie anglaise ; ceux de la France arriveraient par les deux voies. Au reste, cette idée n’est pas nouvelle. Il y a quelques années, les habitans de Pest eurent l’idée de s’affranchir des droits qu’imposait la Russie à l’embouchure du Danube en ouvrant le canal de Czernavoda. L’exécution de ce projet, relativement à ses immenses résultats, ne parut ni difficile ni dispendieuse ; mais l’avantage même qu’on s’assurait en enlevant à la Russie les bouches du Danube fut un obstacle politique que l’on ne put surmonter à Constantinople, et que sans doute on ne surmonterait pas davantage aujourd’hui, lors même que le peu de sécurité qu’inspire