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lieu d’examiner, on devine, on dogmatise, on interprète ce qui n’a jamais été observé. Le monde des idées et des sentimens ne reflète pas dans sa pureté primitive le monde extérieur. Ce qui, dans quelques régions de la terre, ne s’est manifesté comme rudiment de la philosophie naturelle que chez un petit nombre d’individus doués d’une haute intelligence, se présente en d’autres régions, chez des familles entières de peuples, comme le résultat de tendances mystiques et d’intuitions instinctives. C’est dans le commerce intime avec la nature, c’est dans la vivacité et la profondeur des émotions qu’elle fait naître, qu’on rencontre aussi les premières impulsions vers le culte, vers une sanctification des forces destructives ou conservatrices de l’univers. Cependant, à mesure que l’homme, en parcourant les différens degrés de son développement intellectuel, parvient à jouir en toute liberté du pouvoir régulateur de la réflexion, à séparer, par un acte d’affranchissement progressif, le monde des idées de celui des sensations, un vague pressentiment de l’unité des forces de la nature ne lui suffit plus. La pensée commence à accomplir sa haute mission ; l’observation, fécondée par le raisonnement, remonte avec ardeur aux causes des phénomènes.

L’histoire des sciences nous apprend qu’il n’a pas été facile de satisfaire aux besoins d’une si active curiosité. Des observations peu exactes et incomplètes ont conduit par de fausses inductions à ce grand nombre d’aperçus physiques que les préjugés populaires ont perpétués dans toutes les classes de la société. C’est ainsi qu’à côté d’une connaissance solide et scientifique des phénomènes, il s’est conservé un système de prétendus résultats d’observation d’autant plus difficile à ébranler, qu’il ne tient compte d’aucun des faits qui le renversent. Cet empirisme, triste héritage des siècles antérieurs, maintient invariablement ses axiomes. Il est arrogant comme tout ce qui est borné, tandis que la physique, fondée sur la science, doute parce qu’elle cherche à approfondir, sépare ce qui est certain de ce qui est simplement probable, et perfectionne sans cesse les théories en étendant le cercle des observations.

Cet assemblage de dogmes incomplets qu’un siècle lègue à l’autre, cette physique qui se compose de préjugés populaires, n’est pas seulement nuisible parce qu’elle perpétue l’erreur avec l’obstination qu’entraîne toujours le témoignage de faits mal observés : elle empêche aussi l’esprit de s’élever aux grandes vues de la nature. Au lieu de chercher l’état moyen autour duquel oscillent, dans l’apparente indépendance des forces, tous les phénomènes du monde extérieur,