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un engagement général et très vif des deux côtés. A la tête de ses cipayes reconnaissables au bon ordre qu’ils conservaient et à la régularité de leurs manœuvres, Sombre chargea plusieurs fois les Anglais. Les troupes du vizir et de l’empereur, animées par cet exemple, ne montrèrent pas moins de résolution ; pourtant l’attaque vint, comme toujours, échouer contre la supériorité européenne et le sang-froid britannique. Après une série de tentatives infructueuses, l’armée indienne se retira lentement et sans désordre. Munro se jeta vivement à sa poursuite ; mais Sombre et son petit bataillon indestructible lui barrèrent le passage. Arrivé avant les Anglais à un pont de bateaux jeté sur une rivière profonde et rapide, à deux milles du champ de bataille, l’intrépide aventurier parvint à le détruire et sauva les débris de l’armée impériale. Dans cette affaire où Sombre courut les plus grands dangers, on remarqua un Indien qui fut blessé deux fois en le couvrant de son corps : c’était Raja-Ram qui, par un dévouement dont nous avons vu des exemples sous l’empire, avait jusque-là refusé tout avancement pour accompagner son maître en qualité de simple ordonnance.

Cette bataille avait duré trois heures, et un moment la victoire était restée incertaine. De pareils exploits ne pouvaient manquer de répandre la réputation de Sombre dans tout l’Hindoustan, et désormais le général français pouvait choisir entre tous les princes de l’Inde celui qu’il lui conviendrait de servir. Après avoir été successivement et alternativement à la solde de l’empereur, du vizir et de plusieurs autres chefs pendant douze années, nous le retrouvons enfin cherchant un asile dans l’état de Sardannah, qui avait alors à peine une place sur la carte de l’Inde. Grace aux efforts de Sombre, ce petit royaume allait enfin sortir de son obscurité.

Une fois devenu l’époux de la princesse et partageant avec elle l’autorité suprême, Sombre était trop habile pour songer à s’étendre par la guerre avec les faibles ressources militaires dont il pouvait disposer ; il renonça donc presque entièrement au métier des armes pour se lancer dans une carrière toute diplomatique. Voyant dans l’accroissement de la puissance anglaise le danger le plus réel et le plus imminent pour les divers états de l’Inde, il s’appliqua sans relâche à la combattre, ou au moins à la restreindre entre des confédérations hostiles. Son système, qui rappelait celui de Bussy, était de placer à toutes les cours importantes un petit noyau de Français auxquels il tendait la main. Ce fut lui qui révéla à Scindiah les talens du général de Boigne dont le chef mahratte tira un tel parti que, malgré les désastres qui