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ossemens, une carcasse de buffle à moitié dévorée, indiquaient effectivement le voisinage ou le passage récent de ces animaux. Dès-lors, en se prépara à l’action : les éléphans furent rangés en demi-cercle et s’avancèrent en écrasant le taillis devant eux. Déjà l’on avait traversé des deux tiers de l’espace indiqué sans apercevoir aucune trace de l’ennemi, et chacun commençait à désespérer du succès de la journée, quand l’éléphant royal, relevant soudainement sa trompe, fit entendre un cri perçant et modulé comme la fanfare d’une trompette. C’est le signal assez burlesque donné par cet animal intelligent, quand il reconnaît la présence de son redoutable adversaire. Quelques secondes plus tard, les longues herbes à cent pas en avant s’agitèrent, et un énorme tigre, de l’espèce vulgairement appelée du Bengale, laissa voir un seul instant au-dessus des tiges sa tête et ses épaules rayées. La reine l’aperçut la première : elle déchargea aussitôt sur le monstre les deux coups de son fusil anglais ; mais les mouvemens inquiets de l’éléphant qu’elle montait l’avaient empêchée d’ajuster. Le tigre, selon sa coutume, quand il n’est pas blessé, s’aplatit dans les herbes et disparut. Toute la ligne des chasseurs le poursuivit alors au pas de course. A quelques pas plus loin, on le fit lever encore. Cette fois, il battit décidément en retraite, mais lentement et avec dignité, et se retournant à chaque instant pour regarder ses persécuteurs. C’est alors qu’une balle partie de la carabine de Sombre le blessa grièvement à la hanche. La scène changea aussitôt. Le monstre fit un bond en arrière ; il battit ses flancs de sa queue, il rampa, puis poussant un cri terrible, il s’élança vers les chasseurs. Toute la troupe d’éléphans prit aussitôt la fuite. C’était en vain que les cornacs les encourageaient, les injuriaient, les frappaient à coups redoublés, qu’ils leur déchiraient le cou de la pointe aiguë de leurs hallebardes. Pour la première fois, ces animaux étaient sourds à la voix des mahaouts. Un d’eux, plus effrayé que les autres, se précipita sous un arbre aux vastes rameaux, et, rencontrant une branche énorme qu’il brisa avec son dos, il fracassa la balustrade, le siège de fer, et tua les chasseurs qui n’avaient pu se soustraire à ce choc écrasant.

L’éléphant royal était resté seul sur le champ de bataille. Il tremblait mais il ne fuyait pas ; c’était l’effet de la discipline. Ce vétéran montrait plus d’une cicatrice ; plus d’une fois il avait assisté à la mort du tigre. Pourtant, quand celui-ci s’élança vers sa trompe, il détourna la tête et lui présenta la hanche. Le tigre y arriva d’un seul bond, mais, repoussé par la balustrade d’acier, il ne put que se cramponner aux flancs de ses dents et de ses griffes. L’éléphant fit des efforts prodigieux