Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/724

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A côté de la tente de la princesse, dont le pavillon et les rideaux étaient du plus beau cachemire, paraissait le cendrier du joghi (religieux hindou d’un ordre mendiant) suspendu à un bâton placé entre deux fourches. Ce nouveau Diogène, accroupi dans la poussière, sans autre vêtement que ses longs cheveux saupoudrés de cendres, envoyait, selon son caprice, des bénédictions ou des injures aux courtisans qui se rendaient au conseil, et n’épargnait pas toujours sa royale maîtresse. Autour des draperies rouges et blanches des tentes de la noblesse fourmillaient les échoppes noircies et souillées des commerçans, et, en regard des lignes régulières d’un détachement de cavalerie, des bohémiens en haillons bivouaquaient au milieu de leurs bestiaux. L’aventurier ne savait où se diriger dans ce labyrinthe de toiles et de cordages, et il venait de s’arrêter sur la lisière du camp, lorsque deux chobdars, messagers porteurs de bâtons d’argent, fendirent la foule et se présentèrent devant lui pour le conduire à la tente qui lui était destinée. Il lui suffit de soulever le rideau qui en fermait l’entrée pour reconnaître que les soins minutieux d’une femme avaient devancé son arrivée et prévenu ses besoins. Un bon lit de rotin, une couple de chaises, objets généralement inconnus dans un camp indien, étaient déjà placés dans la tente, et des serviteurs empressés préparaient un bain. Dès-lors un sourire de satisfaction dissipa le dernier nuage qui obscurcissait le front de Sombre, et, se tournant vers Raja-Ram : « Eh bien ! mon fidèle compagnon, lui dit-il, avais-je tort de croire à ma destinée ? Vois, mon étoile monte encore ; elle est bien loin de son déclin. »

Trois heures plus tard, on annonçait au général que la begom, après avoir goûté quelques instans de sommeil et terminé sa prière, daignait lui accorder une audience. Il se hâta de se rendre à cet appel. Si une émotion assez naturelle se mêlait à la curiosité qu’il ne pouvait manquer d’éprouver, ce n’était pourtant pas l’effroi qui faisait battre son cœur, c’était plutôt l’espoir et le pressentiment d’un bonheur presque chimérique. Les trois heures qu’il venait de passer, livré à ses réflexions solitaires, lui avaient suffi pour bâtir tout un vaste édifice de rêves délicieux, de ces rêves comme, dans nos climats plus froids et sous notre régime social plus positif, on en fait à peine à vingt ans. Sombre avait été jeté dans l’Inde au début de la vie ; la gloire avait été sa première maîtresse, et jusqu’alors elle l’avait absorbé tout entier. La rêverie qui agitait son cœur au moment de voir la reine était sa première rêverie d’amour.

Après avoir traversé une enceinte de murs en étoffe blanche, doublée