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à contenir la réaction, tout débat devenait inutile sur la question de savoir s’il fallait fortifier le pouvoir pour le soustraire aux exigences cléricales, ou au contraire l’affaiblir pour le mettre dans l’impossibilité de servir ces exigences.

Les catholiques ne se méprirent pas sur la portée de cet incident de presse. Ils interpellèrent vivement MM. Lebeau et Rogier, qui refusèrent de désavouer les opinions émises par M. Devaux. Une question de confiance fut posée. Pour la première fois, les deux fractions libérales de la chambre des représentans votèrent en commun, et, réunies aux défectionnaires que MM. Lebeau et Rogier comptaient avec raison recruter dans les rangs catholiques, elles donnèrent au cabinet une majorité de quelques voix ; mais le sénat, dont MM. Lebeau et Rogier ne mettaient pas l’adhésion en doute, vota à la presque unanimité dans le sens contraire, et alla même jusqu’à adopter une adresse qui conseillait au roi le renvoi du cabinet.

Cette défection du sénat, si imprévue pour les doctrinaires, peut néanmoins s’expliquer. Le sénat votait en 1841 contre MM. Lebeau et Rogier par les mêmes raisons qui l’avaient fait voter auparavant pour MM. Lebeau et Rogier. Allié des doctrinaires, tant que le parti clérical les avait combattus par le radicalisme, il se constituait logiquement l’ennemi de ces mêmes doctrinaires, dès qu’à leur tour ils s’appuyaient sur les radicaux. Les doctrinaires s’étaient d’autant plus compromis aux yeux du sénat, que tous les sacrifices d’opinion semblaient être de leur côté. Depuis 1836 la lutte des deux programmes s’était presque entièrement concentrée dans la presse. Or, en Belgique, où la dispense de cautionnement ouvre un plein accès au journalisme prolétaire, les idées radicales ont nécessairement plus d’organes que les principes modérés. Ajoutez à cela que les journaux doctrinaires avaient fini par éluder toute polémique de nature à prolonger les dissentimens du parti libéral. Tout, dans la question intérieure, concourait donc à effacer l’opinion doctrinaire, à la confondre avec le groupe radical, à établir une apparente solidarité entre les deux, et du jour où cet accord, purement négatif, passa de la presse dans la chambre, le sénat ne douta pas de l’apostasie de MM. Lebeau, Devaux et Rogier. Ce n’était plus du reste à de simples questions d’organisation politique, d’équilibre parlementaire, que se limitaient les dissentimens du sénat et des ultra libéraux. Au lieu de s’en tenir aux réformes bien ou mal entendues qu’indiquait la situation, telles, par exemple, que l’abaissement du cens des sénateurs, la presse ultra-libérale en était arrivée peu à peu jusqu’aux dernières exagérations du