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partie du nord indépendante ; de tous les points de l’île furent lancées aussitôt des proclamations révolutionnaires.

Malgré la confusion et l’incohérence qui règnent dans ces proclamations, il importe de bien apprécier le caractère du mouvement qu’elles annonçaient. D’un côté, le nord et l’ouest abandonnaient leurs prétentions unitaires pour proclamer les principes fédéralistes et la déchéance d’Hérard ; de l’autre, le sud remettait en avant la question de race, négligée un moment pour la question territoriale. Un noir de la police rurale, Acaau, se faisait « le chef des réclamations de ses concitoyens, » comme il le dit dans une de ses innombrables proclamations ; il demandait arrogamment compte au gouvernement mulâtre de ce qu’il avait fait pour les noirs, et, ralliant autour de lui les hommes de sa couleur, il devenait un moment maître absolu du sud.

Tel était le double mouvement qui se déclarait dans le nord et le sud, et dont la déchéance d’Hérard ne pouvait être que le dénouement provisoire, il ne s’agissait plus en effet d’une réaction démocratique contre la dictature militaire du président. Le parti noir semblait vouloir se compter ; la situation de la race mulâtre, et surtout de cette population intermédiaire qui s’agitait à Port-au-Prince, était devenue critique. Cette population comprit qu’il fallait céder et accepter un président de race noire. Guerrier, vieux soldat de Christophe, dont le nom avait figuré parmi ceux des membres du gouvernement provisoire, semblait fait tout exprès pour donner satisfaction à tous les partis. Les noirs voyaient en lui un représentant de leur couleur, tandis que son grand âge, son inexpérience des affaires et un goût immodéré pour les liqueurs fortes faisaient du vieux chef noir un instrument commode entre les mains des politiques de la race métisse. Guerrier fut sans plus de façon proclamé président. Voici comment un journal du Port-au-Prince rend compte de cette élection. « On convint de le proclamer à la parade. Des cris partis de la garde nationale devaient être répétés par la troupe de ligne ; mais ce mode d’élection eût pu provoquer des rixes. C’est ce qu’il fallait éviter à tout prix. Dans la matinée du 3 mai, une députation des citoyens de la ville apporta au général Guerrier l’expression de leurs vœux. Successivement divers autres citoyens se réunirent à la députation. Ils trouvèrent au palais plusieurs officiers qui étaient venus du nord témoigner au général Guerrier de l’unanimité des vieux populaires. Ces officiers se joignirent à la députation. À neuf heures, le modeste Guerrier vainquit ses scrupules, et accepta. À midi, la garde nationale et l’armée se réunirent et proclamèrent le nouveau président. »

Sans perdre de temps, Guerrier notifia sa prise de possession à celui qu’il remplaçait si inopinément, en lui enjoignant de demeurer à Azua jusqu’à réception de nouveaux ordres. Hérard ne put qu’obéir. Il était déjà dépossédé de fait par la dispersion de son armée, que les attaques incessantes des Dominicains aussi bien que les évènemens du Port-au-Prince avaient achevé de