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que par la voie des États-Unis. Bientôt les dépêches de Dumesle ne laissèrent au président aucun espoir de conciliation. Il comprit qu’avant d’aborder l’ennemi de l’est, il fallait en finir avec le parti constituant de l’ouest. Pour faire face à ce nouveau péril, c’est encore à une mesure des plus excentriques que le président s’arrêta. Du haut de la frontière de Lescaobas, d’où il pouvait en quelque sorte parler à tous les points de l’île, Hérard fulmina une proclamation qui, s’adressant à la fois aux ennemis qu’il allait combattre et aux adversaires qu’il laissait derrière lui, résumait tous ses griefs contre le parti parlementaire. Le président finissait par rappeler les réticences dont il avait accompagné son serment du 4 janvier, et invoquait la grande loi du salut du peuple. Dumesle se chargea de tirer de ce manifeste la conclusion qui n’y était pas écrite. Ordre fut donné à tous les anciens constituans et à tous les membres des comités municipaux d’aller rejoindre l’armée. Le premier devoir des représentans du peuple étant de défendre l’unité et l’indivisibilité de la république, on jeta en prison ceux qui résistèrent.

Après de pareilles extrémités, il fallait vaincre, et nous avons vu avec quelle vigueur les braves Seybanos avaient reçu les deux colonnes expéditionnaires. Cette attitude menaçante d’un ennemi qui s’organisait chaque jour et semblait plus redoutable à mesure qu’on s’enfonçait davantage dans les vastes solitudes de son territoire, le doute et l’effervescence que jetaient dans les esprits les nouvelles du Port-au-Prince, tout concourait à répandre l’insubordination et le trouble parmi ces bandes indisciplinées que ne put bientôt plus retenir l’énergie draconienne des ordres du jour. Les troupes noires, après s’être éparpillées un peu partout, commencèrent à abandonner en masse le quartier-général d’Azua. Ce fut là et au milieu de cette multitude à moitié débandée qu’Hérard reçut M. le contre-amiral de Moges. Comprenant la situation comme l’avait comprise notre consul à Santo-Domingo et désespérant d’exercer une autre initiative, l’amiral français voulait au moins assurer à notre gouvernement le rôle de médiateur. Hérard le promena au milieu de ses soldats, dont il chercha en vain, par une disposition savante, à dissimuler le petit nombre. Le regard exercé du marin ne se laissa point tromper par cette mise en scène militaire. L’amiral dit nettement au président sa pensée sur ce qu’il appelait son armée et sur le résultat probable de son expédition, s’il persistait à vouloir se porter en avant. Le malheureux Hérard ne pouvait méconnaître la justesse de ces observations ; mais que faire ? « Il avait promis » aux habitans de Port-au-Prince de dompter la révolte de l’est : il fallait vaincre ou tomber de sa présidence. D’ailleurs, n’attendait-il pas le général noir Pierrot, auquel il avait donné ordre de venir le joindre avec dix mille hommes qu’il commandait dans le nord ? Hérard ignorait encore que, battu et culbuté par les Dominicains du nord, Pierrot était retourné au Cap résolu à n’en plus sortir. Il ignorait que le noir, résistant aux ordres menaçans de son chef, avait mieux aimé faire une révolution que d’obéir. Dans un manifeste daté du Cap (26 avril), Pierrot avait déclaré la