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et du pacte affermi par la consécration définitive du passé. C’est condamner la vie des peuples à l’immobilité.

Dans la vie privée, Burke était un modèle de bonté, de générosité, de vertus sévères et douces, et d’enthousiasme pour le bien. Il n’y a pas de vile faiblesse, encore moins d’infidélité politique, chez Burke, et la correspondance que nous avons sous les yeux le prouve assez. Que d’accens de franchise ! quelle vérité sévère ! Lorsque le docteur Schlosser, dont l’histoire est[1] tissue de graves erreurs, affirme que Burke « a mutilé volontairement sa gloire pour gagner la faveur des privilégiés et des incorrigibles, » l’historien allemand dit exactement le contraire de la vérité. Burke n’a rien gagné à sa lutte inutile contre la révolution française ; il y a perdu. Renfermé dans sa retraite de Beaconsfield, et dévoré d’une douleur sombre que la mort de son fils bien-aimé changea en désespoir, il est descendu lentement au tombeau sans qu’un rayon de joie l’échauffât dans sa solitude. Commettre plus de bévues que le philosophe allemand n’en a jeté dans ces huit pages, où il est dit, par exemple, que lord Rockingham était un « jockey, » et qu’il s’était chargé du « pot-au-feu de Burke, » est difficile ou impossible. Rockingham montait à cheval comme tous les gentlemen, et il avait donné à Burke une maison, pour que celui-ci eût l’indépendance nécessaire à la vie politique.

Inaugurée par dix lettres de Burke à un jeune quaker, la correspondance se termine par l’exhortation éloquente d’une quakeresse à Burke mourant ; ces deux limites du recueil sont bien plus significatives que l’on ne pense. Suspendez ces deux flambeaux aux deux périodes extrêmes de sa vie, ils l’éclairent tout entière ; pas une de ses actions qui n’en porte le reflet. Dès son début, les Américains l’intéressent, et la Pensylvanie est pour lui la région aimée, parce qu’elle porte le nom du quaker Guillaume ; il se promène avec Franklin sur les bords de la Tamise, et fraternise avec l’imprimeur de Philadelphie. Veut-il fonder plus tard pour les jeunes émigrés français une école gratuite, c’est sous l’invocation de Penn qu’il la place ; il la nomme Penn-school. Ses premières affections, le premier pli de son ame, le premier jet de son esprit, ont été dominés et tempérés par cette rigidité prudente et cette ardeur contenue, dirigée vers l’idéal, dont jamais le condisciple de Shackleton ne se dépouille. De là cette anomalie d’une sévérité qui paraît pédantesque et d’une immobilité en

  1. Geschichte des XVIII Jahrhunderts, t. II, liv. 8, cap. 2. Burke.